Le XIXe siècle de l’Empire ottoman est une période de réformes et de modernisation durant laquelle les idéaux occidentaux se sont diffusés au sein du territoire de l’empire. C’est dans ce siècle que le premier parlement ottoman a été créé et que de nombreuses voies ferrées furent construites. De nombreux intellectuels et érudits sont apparus qui diffusaient les valeurs de la démocratie, de la laïcité et de l’intellectualisme. Le plus fameux d’entre eux, qui a été l’un des inspirateurs de Mustafa Kemal et a contribué à redéfinir l’identité de la nation turque, était Namık Kemal.
Jeunesse et formation
Namık Kemal nait le 21 décembre 1840 à Tekirdağ, dans l’Empire ottoman. Son père, Mustafa Asım bey, est chef astrologue dans le palais du sultan. Sa mère, Fatma Zehra, est d’origine albanaise et la fille d’un gouverneur qui s’appelle Abdulatif Pacha. Durant sa jeunesse, il vit avec sa mère et son grand-père et, étant donné que ce dernier est un gouverneur dont la ville d’affectation change souvent, ils changent de résidence de nombreuses fois. Namık Kemal passe donc sa jeunesse dans plusieurs villes telles que Constantinople, Kars et Sofia. Il est éduqué à domicile et apprend l’arabe, le persan et le français. Il lit beaucoup et écrit des poèmes, ce qui lui permet de rencontrer des poètes célèbres.

En 1857, à l’âge de 17 ans, il commence à travailler à l’office des traductions de l’Etat ottoman. Ce nouveau poste lui permet de rencontrer de nombreux intellectuels influencés par la culture occidentale tels que Ziya Pacha et Ali Suavi. C’est sa première exposition aux idéaux européens. Son nouveau cercle d’amis formera plus tard la société secrète des “Nouveaux ottomans” ou “Jeunes ottomans”. L’intellectuel ayant eu la plus grande influence sur Namık Kemal est Ibrahim Şinasi avec lequel il crée le journal Tasvir-i Efkar. Şinasi, ayant été exilé en France par les autorités ottomanes en 1865, doit alors laisser le journal aux soins de Namık Kemal.

Les “Jeunes ottomans” et le chemin de l’exil
Les “Jeunes ottomans” est une société secrète formée par les amis de Namık Kemal à l’office des traductions et qui avait comme objectif d’initier des réformes politiques et sociales dans l’Empire ottoman, telles que la mise en place d’un parlement. Vus comme une menace au pouvoir du sultan Abdulaziz, ses membres sont tous exilés en 1867.
Namık Kemal passe ses années d’exil dans plusieurs villes européennes telles que Paris et Londres et découvre davantage la culture occidentale. Avec l’aide de Mustafa Fazil Pacha, un prince égyptien opposant au sultan, les “Jeunes ottomans” publient les journaux d’opposition Muhbir et Hürriyet qu’ils font passer par la suite en contrebande dans l’empire Ottoman. Toutefois, les conflits internes parmi les “Jeunes ottomans” ainsi que le rapprochement inattendu entre Mustafa Fazil et le sultan mettent un terme à la publication de ces journaux.

Retour à Constantinople et exils dans l’empire Ottoman
Après l’échec de ses activités politiques en Europe, Namık Kemal se fait pardonner et a la permission de retourner dans l’Empire ottoman en 1870. Après trois ans d’exil, il revoit pour la première fois son père, sa femme et ses enfants. En revanche, il poursuit tout de même la publication d’un journal d’opposition nommé Ibret. Suite à cela, le journal est censuré par les autorités et Namık Kemal est exilé à Gallipoli.
A Gallipoli, inspiré par les pièces de théâtre en France, il publie sa propre pièce, “Vatan yahut Silistre”, qui est jouée pour la première fois à Constantinople en 1873. Cette pièce raconte les événements de la guerre de Crimée dans les années 1850 entre l’Empire ottoman et l’Empire russe. Ce qui a rendu cette pièce fameuse est son message patriotique car le personnage principal, un soldat, combat par amour pour sa patrie et non pas pour le sultan. Cette oeuvre rend Namık Kemal très célèbre parmi les turcs et excite le public, désormais rempli de ferveur nationaliste. Les autorités ottomanes, effrayées par l’augmentation des partisans de Namık Kemal, décident de nouveau de l’exiler, cette fois-ci à Chypre.
La déposition du sultan Abdulaziz et l’arrivée d’Abdul Hamid II
En 1876, le sultan Abdulaziz est destitué suite à un coup d’État par les membres du gouvernement. A sa place, Murad V, un ami de Namık Kemal qui partage les mêmes idées progressistes que lui, est couronné sultan. Son arrivée au pouvoir permet à Namık Kemal de retourner à Constantinople. En revanche, Murad tombe dans la folie peu de temps avoir été proclamé sultan. A cause de sa mauvaise condition mentale, il abdique après un court règne qui ne dure que quelques mois. Il est remplacé par son demi-frère Abdul Hamid, devenu désormais sultan.



Abdul Hamid II initie la rédaction de la première constitution ottomane à laquelle Namık Kemal participe. Avec la constitution, Abdul Hamid met aussi en place l’Assemblée générale ottomane. En revanche, bien que le sultan ait initié des réformes qui semblaient mener vers une démocratisation de l’empire, il continue à diriger de manière autocratique en négligeant le parlement. De nouveau, les “Jeunes ottomans” sont en désaccord avec le pouvoir en place et finissent par être exilés.
Sa mort et le fond de sa pensée
Namık Kemal est de nouveau exilé, cette dernière fois à l’île de Chios où il finit par mourir en 1888. Sa pensée eut un effet important sur la définition de l’identité turque et la création de la République de Turquie en 1922 par Mustafa Kemal Atatürk, profondément inspiré par les idées de Namık Kemal dont la pensée était elle-même fortement influencée par les idées nationalistes de l’Europe révolutionnaire du XIXe siècle. Namık Kemal considérait la monarchie constitutionnelle et démocratique du Royaume-Uni comme un modèle politique idéal. Pour lui, le peuple doit être loyal non pas à une monarchie ou à un sultan, mais à la patrie et à la nation, une idée héritée par ailleurs de la Révolution française.

