Voici le premier article d’une nouvelle série : Science et cinéma. Dans cette série, nous discuterons de l’exactitude scientifique des films ainsi que du rôle que ces films jouent dans la communication scientifique. Dans ce premier article, nous nous intéresserons à un de mes films de science-fiction préférés : Gattaca. Attention, cet article contient des spoilers !
Les films de science-fiction sont toujours très intéressants. Cependant, ils nécessitent beaucoup de réflexion de la part des réalisateurs. Ces films, comme les films de fiction, doivent établir les règles du monde que les réalisateurs ont créées et doivent présenter une histoire conforme à ces règles. Malheureusement, beaucoup de films ont des histoires qui ne respectent pas toujours les paramètres de ce monde fictif. Cela est d’autant plus important dans les films de science-fiction.
Les meilleurs films de science-fiction sont, pour la plupart, des films qui s’éloignent de notre vie ou époque actuelle mais qui ne s’éloignent pas des vérités scientifiques. Regarder un film où un phénomène probable se réalise est toujours plus émouvant que de regarder un film où aucun événement n’est concrètement possible. C’est pour cette raison que les dystopies sont utilisées pour transmettre un message sur notre société actuelle, avant que ce que nous craignons devienne une réalité. Le premier film de cette série est une dystopie.
Que raconte le film ?
Gattaca est un film réalisé en 1997 par Andrew Niccol qui a reçu plusieurs nominations et prix comme le prix du “Meilleur scénariste de l’année” du London Film Critics Circle. Le film présente une société futuriste qui utilise la technologie de la reproduction et l’ingénierie génétique afin de produire des êtres humains génétiquement améliorés. Les meilleurs allèles des parents sont combinés afin que les enfants formés aient les meilleures caractéristiques de leurs parents. Ces caractéristiques incluent une santé parfaite, un QI élevé ou une durée de vie plus longue. Les bébés génétiquement modifiés sont majoritaires et les bébés qui naissent naturellement sont traités comme des inférieurs. En effet, les personnes génétiquement modifiées sont plus intelligentes que les autres, ce qui les rend aptes à des tâches plus complexes. Ce monde est divisé en deux, les valides, génétiquement modifiés, et les invalides, les “naturels”.
Le film suit l’histoire d’un invalide, Vincent Freeman, qui rêve d’avoir une carrière dans l’espace. Il doit donc lutter contre les discriminations et ses désavantages génétiques pour réaliser son rêve. Vincent s’entraîne constamment pour améliorer ses capacités physiques et intellectuelles. Néanmoins, il est conscient qu’il ne peut pas réaliser son rêve en entrant en compétition avec ses collègues valides. Même si la discrimination envers les invalides dans le monde professionnel est illégale, cette loi n’est presque jamais respectée, le profilage génotypique étant une pratique courante pour identifier les personnes. Vincent va donc se faire passer pour un valide paralysé, Jérôme Eugene Morrow pour participer à une mission spatiale. Au lieu d’une fausse carte d’identité, Vincent va utiliser des échantillons du sang, des cellules, l’empreinte digitale et l’urine de Jérôme. Enfin, Vincent va réaliser son rêve et Jérôme, paralysé suite à une tentative de suicide liée à son perfectionnisme, va s’auto-incinérer après avoir laissé des échantillons de son ADN pour Vincent et donc son identité.
Exactitude scientifique
Ce film est l’un des films les plus respectés par les scientifiques pour son exactitude scientifique. Le consultant scientifique du film, French Anderson, médecin et scientifique qui a réalisé le premier essai clinique de thérapie génique humaine a énormément contribué à l’exactitude des faits présentés. Ce film réalisé au milieu du battage médiatique autour du Projet Génome Humain, un projet international de recherche visant à identifier, cartographier et séquencer l’ensemble des gènes du génome humain. Les réalisateurs ont affirmé que ce film illustre le débat sur la recherche en ingénierie génétique humaine et ses implications éthiques.
Les scientifiques doivent déterminer comment tirer le meilleur parti de la technologie sans subir les terribles conséquences de son utilisation abusive, comme cette nouvelle forme de discrimination dans le film, le “génoisme”. Il s’agit donc bien d’une dystopie dans ce film.
Les plus attentifs pourront remarquer quelques incohérences scientifiques. Par exemple, Vincent doit utiliser l’urine de Jérôme pour un des tests d’identification. Cependant, l’urine n’est pas la source la plus fiable pour un test d’ADN. Les meilleurs échantillons sont le sang, la salive et les follicules pileux. L’urine contient de petites quantités d’ADN, mais pas autant que le sang ou la salive. L’ADN se détériore également plus rapidement dans l’urine, ce qui rend difficile son extraction et la production de résultats de test fiables.
Un autre exemple est que Jérôme affirme avoir laissé suffisamment de matériel génétique pour que Freeman l’utilise comme le sien pour durer deux générations. Cependant, l’ADN peut se détériorer selon les méthodes de conservation des tissus, l’exposition aux rayons UV, la température, le pH et la concentration en sel de l’environnement. Vincent a des préoccupations à ce sujet mais n’éclaire pas son raisonnement. Le spectateur se retrouve donc avec une information partielle.
Je n’ai pas remarqué d’autres incohérences dans ce film. A vous de me dire si vous en avez trouvé d’autres dans les commentaires.
Analyse
Somme toute, l’exactitude scientifique dans Gattaca est impressionnante. Le génie génétique des enfants est une possibilité très réelle. Le génoisme qui suit cette pratique est également très probable. La pratique utilisée pour produire des humains génétiquement améliorés se nomme l’ingénierie germinale. Il est fort probable que cette pratique soit utilisée dans un proche avenir. La première utilisation de l’ingénierie germinale serait probablement d’éradiquer des maladies dans lesquelles une mutation génétique s’avère fatale. Ensuite, nous corrigerons des traits phénotypiques indésirables comme la myopie, l’astigmatisme, la calvitie. Enfin, nous nous retrouverons dans un monde similaire à celui de Gattaca, où les bébés auront des traits désirables. Guérir des personnes malades en utilisant l’ingénierie germinale est éthiquement correct. Cependant, s’attribuer des caractéristiques améliorées est clairement de l’hybris et éthiquement discutable. Toutes ces questions éthiques font partie du transhumanisme, un des thèmes principaux du film. Le transhumanisme est l’altération améliorative de la condition humaine grâce à de nouvelles technologies sophistiquées. Nous retrouvons les conséquences du progrès scientifique et du transhumanisme dans cette dystopie.

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur la nomenclature dans ce film que je trouve absolument parfaite. Nous pouvons commencer par le titre du film : Gattaca. Originellement, le film devait s’intituler Le Huitième Jour, faisant référence aux sept jours de la création pour montrer que la science permet d’avoir un pouvoir presque divin. Cependant, un autre film paru avant Gattaca portait le même titre. Le titre actuel du film est basé sur les lettres G, A, T et C, qui représentent les quatre nucléobases de l’ADN, les bases de la génétique (la guanine, l’adénine, la thymine et la cytosine respectivement).
Ensuite, force est de constater que le nom du protagoniste, Vincent Freeman, se traduit par “homme libre”. Pour un film qui montre la supériorité des humains génétiquement modifiés, la fin, très symbolique, démontre certainement le succès des invalides faibles (Vincent dans l’espace) et la chute des valides forts (Jérôme qui se suicide). Le faible s’empare de l’identité du fort qui a laissé sa place à l’invalide, ce qui souligne le triomphe de Vincent. Cette fin minimise subtilement l’importance de nos gènes par rapport à l’importance de nos décisions sur l’utilisation de ces gènes. Vincent est donc un homme libre qui se détache de ses conditions initiales pour réaliser son rêve.
Le deuxième nom de Jérôme, Eugène fait référence à l’eugénisme, la théorie scientifiquement immorale de “l’amélioration raciale”. Jérôme est un homme conçu pour être parfait. Cependant, il comprend qu’il n’est pas parfait et que cela est impossible. Lorsqu’il perd une compétition de natation, il ne peut plus supporter son échec et tente de se suicider. Il échoue et vit paralysé. Freeman le libère de sa condition et il se suicide. Nous remarquons que les troubles psychologiques comme la dépression, le trouble obsessionnel compulsif ou le perfectionnisme ne sont pas décrits dans nos gènes. Nous pouvons avoir une prédisposition génétique mais c’est l’environnement qui déclenche ces troubles, comme pour le cas de Jérôme qui n’avait pas de prédisposition génétique. Ces deux noms et la fin du film symbolisent que les gènes d’une personne ne déterminent pas sa vie. Le film s’inspire des préoccupations concernant les technologies de reproduction qui facilitent l’eugénisme et des conséquences possibles de ces progrès scientifiques éthiquement contestables. Le film explore également l’idée du destin. Un scientifique vous dira que le destin n’existe pas et que ce que le film appelle destin correspond aux conditions environnementales et à nos décisions quotidiennes. Cela est une vérité scientifique.
Suivez-nous sur nos réseaux sociaux pour ne pas rater le prochain article de cette série ! Le prochain film sera un film qui date de 1997, Contact, inspiré du roman de Carl Sagan du même titre.
Illustration de couverture par Nisa Duymaz
Article mis en page par Erdeniz Karayalçin
Pour aller plus loin :