NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.7, Mai 2022 "La France à Istanbul, une présence durable")
En tant qu’étudiants de Pierre Loti, nous avons sans doute tous remarqué le magnifique bâtiment à côté de l’école, sur le site de Beyoğlu : le Palais de France. Mais que savez-vous vraiment à son sujet ? Le 7 mars 2022, le magazine Crescendo a eu le privilège de pouvoir visiter le palais, guidés par l’Ambassadeur de France en Turquie, M. Hervé Magro, à la suite de son interview que vous pouvez retrouver dans ce même numéro de Crescendo.

La toute première alliance entre la France et la Turquie a été établie entre le sultan Soliman et le roi François Ier contre Charles Quint en 1536. Ensuite, le sultan Soliman a accordé à son allié un terrain pour la construction de l’ambassade, dans la zone quasi inhabitée à l’époque de Beyoglu/Pera, située en face de la péninsule historique, où le palais est toujours installé.
Avant la rencontre avec l’Ambassadeur, nous avons tout d’abord fait le tour de l’Institut Français d’Études Anatoliennes – Georges Dumézil (IFEA). L’IFEA a été fondée en 1930 sous le nom d’Institut français d’archéologie d’Istanbul. Plus tard, avec la création de l’Observatoire Urbain d’Istanbul (OUI) en 1988, les recherches se sont étendues à l’urbanisme, puis à la politique avec l’Observatoire de la Vie Politique en Turquie (OVIPOT), créé en 2005. Les recherches se focalisent sur l’Anatolie et ses régions frontalières comme les Balkans et le Caucase, sur des périodes très diverses, de la préhistoire à la République turque. Les chercheurs peuvent profiter des ressources que l’institut abrite, tels qu’une bibliothèque et une cartothèque, ou encore de logements pour les chercheurs de passage. L’IFEA est le centre de recherche européen le plus important en Turquie.
Des chercheurs et étudiants francophones qui souhaitent travailler sur la Turquie et ses régions environnantes peuvent utiliser ses ressources. Des bourses sont également proposées aux chercheurs. L’IFEA collabore aussi avec d’autres instituts ou universités à travers des conférences, des débats etc.
Ensuite, nous nous sommes dirigés vers le Palais de France, le bâtiment principal, pour notre entretien avec l’Ambassadeur de France en Turquie, M. Hervé Magro.
Avec ses hauts plafonds, son architecture d’inspiration baroque, ses bassins et sa végétation diversifiée, le Palais de France est un paradis caché d’Istanbul. Cependant, le palais actuel ne date pas de si longtemps, ayant été construit entre 1839 et 1847, en raison d’un incendie dans le quartier de Beyoglu/Pera qui avait détruit le bâtiment précédent. En effet, il s’agit de la troisième ou quatrième version de ce palais, mais cette dernière structure est toujours construite au même emplacement qu’à l’origine. S’y exprime une ambiance très particulière, avec son style à la française caractéristique tandis que le style ottoman est plus marqué dans les jardins. Cette cohésion entre les deux styles reflète la relation demi-millénaire franco-turque. Le jardin est orné d’une variété d’œuvres comme des bustes byzantins, des statues baroques, des fontaines ottomanes…

Le bâtiment actuel du palais, construit par l’architecte Pierre-Léonard Laurécisque, présente des traits caractéristiques de l’architecture “Louis-Philippe” de l’époque. Il abrite une multitude d’œuvres d’art de tous les siècles. Nous pouvons même parler d’une transcendance du temps : nous remarquons en effet en errant dans le palais que non seulement les styles mais aussi les pratiques et les mentalités ont évolué au cours du temps. Par exemple, dans la salle de bal nous sommes des invités à une réception de la fin du 18e siècle – 19e siècle ; dans la pièce adjacente, nous sommes des bourgeois commerçants du 17e siècle ; enfin dans la salle opposée, nous sommes des diplomates du 21e siècle.
L’un des éléments les plus attendus mais quand même attirant est la coexistence du classique et du moderne. Il est naturel qu’un Palais construit au 19e siècle soit éclairé par des chandeliers et qu’au 21e siècle ce soient des ampoules qui prennent le relais. Cependant, pour protéger le patrimoine et l’esthétique, et pour continuer à vivre au 21e siècle, les salles sont éclairées par des bougies électriques accrochées aux chandeliers. Nous pouvons même remarquer des câbles traversant des bougeoirs.
Nous avons également visité ce que nous pouvons appeler le “salon sombre”. Les pièces du Palais sont d’après ce que nous avons vu lumineuses et vives. A l’inverse, la décoration moderne plutôt sombre de ce salon a attiré notre attention. En effet -petite anecdote-, seul ce salon reste sombre tout au long de l’année, la lumière du soleil ne l’atteignant pas car bloquée par un arbre. Pour tourner ce “désavantage” esthétique en atout, au lieu de chercher à l’éclaircir, les architectes d’intérieurs ont choisi de mettre en avant l’obscurité, de renforcer le sombre.

Ce palais, étonnante merveille architecturale, a de nombreux rôles outre celui, spécifique, d’héberger les représentants officiels du gouvernement français, comme le Consul général, et l’Ambassadeur lorsqu’il est à Istanbul. L’Ambassadeur de France en Turquie, M. Hervé Magro, nous explique que : “Le palais de France est le miroir de l’histoire de notre présence dans ce pays, ce qui nous permet, en organisant des réceptions ou des événements, de projeter l’image d’une France qui participe, qui accompagne la vie quotidienne des Turcs.” En effet, cet ancien bâtiment est le symbole des longues relations entre la France et la Turquie. Avant le transfert de la capitale à Ankara, le bâtiment abritait l’ambassade de France, ce qui montre que la relation est forte et pérenne. Le palais organise régulièrement des événements, généralement liés à la culture française. Ces événements sont particulièrement prestigieux car le bâtiment, outil de la diplomatie française, est un lieu qui n’est pas ouvert à tous, ce qui signifie qu’il est spécial de pouvoir entrer dans ce palais grandiose.
Le palais de France joue un rôle important parce que c’est la vitrine de notre présence ici à Istanbul.”
S.E. l’Ambassadeur de France en Turquie, M. Hervé Magro.

Une des autres choses intéressantes est qu’il existe dans cette enceinte diplomatique de nombreux bâtiments avec des rôles différents. “Le lieu où nous nous trouvons actuellement, le Palais de France, représente d’un point de vue historique le fonctionnement communautaire de l’empire ottoman. A l’époque ottomane, l’ambassade avait son propre tribunal, sa prison et son église. Cela a bien évidemment changé avec la proclamation de la République de Turquie, qui a un système unitaire.” nous précise l’Ambassadeur. Il y a donc l’église Saint-Louis pour la partie religieuse, ainsi qu’un bâtiment à fronton donnant sur la petite place d’Italie, aujourd’hui intégré à notre école (ce sont les maternelles qui en profitent tandis que les classes du primaires sont logées, elle, dans l’ancien couvent des Capucins) et qui faisait fonction de Tribunal sous l’empire ottoman : il était chargé de juger tous les accusés français que l’empire ottoman ne pouvait pas juger en vertu du régime des Capitulations. Il y avait aussi une prison pour emprisonner lesdits accusés ! C’est maintenant un logement. L’Ambassadeur précise en souriant que “nous n’avons plus la clé pour les enfermer !”.
NDLR : Nous remercions particulièrement S.E. l’Ambassadeur de France en Turquie, M. Hervé Magro, de son attention et sa bienveillance.