Anti-article : matière et antimatière

NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.7, Mai 2022 "La France à Istanbul, une présence durable")

Tu existes, mais tu ne devrais pas. Je n’essaye pas de vous faire entrer dans une crise existentielle. J’évoque simplement un fait scientifique. Un fait qui s’explique par la nature de la matière et de l’antimatière. 

Pour comprendre ces deux concepts, commençons par la théorie qui -jusqu’à présent- est la meilleure explication de l’organisation de notre univers : le modèle standard. Ce modèle explique comment les particules appelées quarks (qui composent les protons et les neutrons) et les leptons (qui comprennent les électrons) constituent toute la matière connue. Le groupe de fermions comprend les quarks et les électrons. Ce modèle explique également comment les particules porteuses de force, qui appartiennent à un groupe plus large de bosons, influencent les quarks et les leptons. 

Pour rappel, les interactions ayant lieu dans l’univers s’expliquent par 4 forces fondamentales : la gravité, la force la plus faible (malgré la misconception publique que c’est la plus forte) ; les faibles et fortes forces nucléaires qui sont présents au niveau de l’atome (fonction de liaison des particules) ; et l’électromagnétisme. Ces forces, à l’exception de la gravité, ont des particules élémentaires correspondants dans le groupe des bosons. Le gluon (force forte) lie les noyaux atomiques pour les rendre stables. La force faible, portée par les bosons W et Z, provoque des réactions nucléaires qui ont lieu notamment dans les étoiles comme notre Soleil.

Ensuite, nous avons les fermions. Les leptons regroupent les électrons (premiers à avoir été découverts) et 2 autres versions de cette particule élémentaire  (plus lourdes, qui se désintègrent donc rapidement en particules plus légères puisque exister leur demande beaucoup d’énergie) : les muons puis les taus. Puis, nous avons les neutrinos (qui ont aussi deux autres versions : neutrinos muons et neutrinos taus), les particules les plus mystérieuses qui n’ont pas de charge, presque pas de masse et qui n’interagissent qu’occasionnellement avec la matière et sont très difficiles à détecter même si 100 trillions de neutrinos passent par nos corps chaque seconde. Enfin, nous avons les quarks qui composent les protons et les neutrons. Par exemple, un proton est composé de deux quark “up”et 1 quark “down”. Le modèle standard nous propose 3 paires de quarks : up down, charm strange, top bottom. Comme pour les électrons, les deux versions plus lourdes de désintègrent en quark up et down. Comme analogie, vous pouvez penser à différents desserts comme la glace pour les quarks, des gâteaux pour les électrons qui ont chacuns de différents goûts/parfums. l’électron est la glace à la vanille (celle qui est la plus abondante), le muon au chocolat et le tau à la pistache. 

La confection de ce modèle a duré un long moment. Elle a commencé avec la découverte de l’électron par le physicien J.J. Thomson en 1897, et s’est terminée lorsque les scientifiques du Large Hadron Collider (LHC) ont découvert le boson de Higgs (qui explique comment les particules ont une masse ou non) en 2012. Mais, ce modèle n’est pas encore arrivé à son terme. Les scientifiques ont beaucoup de propriétés à y intégrer puisque jusqu’à présent, la gravité (sous forme de particule hypothétique le graviton) ou la matière noire (qui compose 95 % de l’univers) ne sont pas intégrées de manière adéquate à ce modèle qui est supposé être une “théorie de tout”. 

Toutefois, cette théorie intègre un très important concept, l’antimatière. En 1928, Dirac, connu pour ses importantes contributions au développement précoce de la physique quantique, rejette comme artefact mathématique la première preuve de l’existence de l’antimatière. Ce brillant physicien travaillait à cette époque sur une équation élégante qui devait définir le comportement des électrons lorsqu’ils étaient proches de la vitesse de la lumière et qui s’appelle l’équation de Dirac. Cependant, en faisant ses calculs, il s’aperçut de l’existence d’une particule différente de l’électron -elle avait une charge positive mais présentait des propriétés similaires à ce dernier- à laquelle ses calculs spécifiques à l’électron pouvaient s’appliquer. Dirac, incapable de comprendre l’apparition de cette particle bizarre, ignora sa validité et ainsi son existence. Trois ans plus tard, il eut finalement le courage d’examiner cette particule et compris qu’elle était la particule contraire à l’électron (qu’il appelle positron). Il comprit que l’antimatière, la matière composée des antiparticules des particules correspondantes dans la matière « ordinaire », est un concept réel et non tiré de la science-fiction. La différence entre un hydrogène et anti-hydrogène se présente au niveau subatomique : ils ont la même masse mais diffèrent par des propriétés telles que la charge électrique et le spin. 

Pour visualiser cela, vous pouvez penser au fait que la racine carré d’un nombre positif à toujours deux solutions. La racine carré de 4 a comme solution 2 et -2. L’électron et le positron fonctionnent de manière similaire. Plus tard, les scientifiques découvrirent que, pour toute particule, il existe son antiparticule (jumeau contraire). Cependant, comme 0 = – 0, les scientifiques pensent que l’antiparticule des neutrinos pourrait être lui-même. 

Ces découvertes ont bouleversé le domaine de la physique quantique au 20e siècle et ont conduit à de plus amples recherches. Les scientifiques ont découvert que lorsqu’une paire de matière et d’antimatière entrent en contact, ils s’annihilent et se transforment en énergie, ne laissant aucune matière. La fameuse équation E = mc2 d’Einstein explique ce phénomène. En gros, cette équation dit que l’énergie et la masse (matière) sont interchangeables. Celles-ci sont des différentes formes d’une même chose. 

Une fois compris ce phénomène, un problème est survenu. Le problème d’asymétrie du baryon, également connu sous le nom du problème d’asymétrie de la matière. La question est pourquoi y a-t-il bien plus de matière que d’antimatière dans l’univers ? Le Big Bang aurait dû créer des quantités égales de matière et d’antimatière dans l’univers primitif. Les particules de matière et d’antimatière sont toujours produites par paire et, si elles entrent en contact, elles s’annihilent, laissant derrière elles de l’énergie pure. Ainsi, l’univers ne devrait pas comprendre de la matière, l’univers est censé être uniquement composé de rayonnement provenant de l’annihilation de paires particules/antiparticules. Un procédé inconnu a créé donc cette imbalance, puisque, toute la matière de tous les jours (nous-mêmes) existe, mais la nature des paires matière-antimatière nous fait déduire le contraire.

Soyons optimistes, ce paradoxe n’est pas insolvable comme celui de Zeno. En effet, une multitude d’hypothèses et de spéculations existent qui peuvent potentiellement résoudre ce paradoxe. 

Cette asymétrie pourrait s’expliquer grâce au neutrinos. Ces derniers se déclinent en trois variétés, chacune associée à l’un des leptons chargés : l’électron, le muon ou le tau. Ces variétés sont appelées « saveurs ». Les neutrinos, qui ne portent aucune charge électrique, peuvent interagir avec d’autres particules et « acquérir une charge » dans le processus, se transformant ainsi en lepton chargé correspondant en fonction de leur saveur. Les neutrinos oscillent : un changement continu de saveur au fur et à mesure que le neutrino voyage dans l’espace, modifiant ainsi la façon dont il interagit et, surtout, le lepton auquel il est associé. La possibilité que les neutrinos et les antineutrinos oscillent de différentes manières pourrait résoudre ce paradoxe. Bien que la matière et l’antimatière se comportent de manière similaire dans presque tous les processus physiques, nous connaissons certains phénomènes dans lesquels elles diffèrent. La preuve la plus évidente que c’est bien le cas est que nous vivons dans un univers composé principalement de matière, où toute antimatière a essentiellement disparu. 

En plus, comme déjà cité, les neutrinos pourraient potentiellement être leur propre anti-neutrino, donc des particules Majorana (des particules qui sont en même temps leurs antiparticules). Les physiciens émettent l’hypothèse que si les neutrinos et les antineutrinos ne fonctionnent pas comme d’autres paires de matière-antimatière, cela conduirait au minuscule excès de matière qui a permis à notre Univers d’exister. Ce qui revient à dire que l’oscillation se serait produite de manière asymétrique. 

Un anti-univers est une autre hypothèse qui pourrait expliquer le fait que la symétrie CPT (charge parité et temps) n’est pas respectée dans notre univers. L’entité qui respecte la symétrie CPT est une paire univers-anti univers. L’anti Univers s’étendrait dans le temps depuis le Big Bang (un univers remontant dans le temps), grossissant au fur et à mesure, et serait dominé par l’antimatière en plus d’avoir ses propriétés spatiales inversées par rapport à celles de notre univers -une situation analogue à la création d’électron-positron paires dans le vide. Cette entité expliquerait naturellement l’existence de la matière noire mais elle est totalement hypothétique. Les scientifiques devront régler de nombreux détails pour pouvoir émettre comme théorie un anti-univers. 

Au total, les scientifiques ont pu produire 16 nanogrammes d’antimatière dont 15 au Fermilab aux États-Unis et 1 au CERN. 1 gramme d’antimatière nécessiterait environ 25 millions de milliards de kilowattheures d’énergie et coûterait plus d’un million de milliards de dollars américains. Malgré ce que vous pourriez penser, nous pouvons détecter l’antimatière sans avoir besoin d’en créer dans les collisionneurs de particules (comme le LHC au CERN).  En 2009, Fermilab a détecté les rayons gamma d’un orage. En effet, lorsque les particules s’annihilent, elles émettent des rayons gamma. Cela signifie que les rayons gamma détectés par le  Fermilab ne pouvaient provenir que d’une collision d’antimatière avec le vaisseau spatial lui-même, fournissant le tout premier indice que ces tempêtes terrestres peuvent envoyer de l’antimatière dans l’espace. L’antimatière est aussi formée à partir des rayons cosmiques ou même des bananes. Les bananes produisent 1 positron chaque 75 minutes, qui s’annihile avec un électron. Cela se produit parce que les bananes contiennent une petite quantité de potassium 40, un isotope naturel du potassium. Lorsque le potassium 40 se désintègre, il émet occasionnellement un positron au cours du processus. Notre corps contient également du potassium 40, ce qui signifie que nous émettons également des positrons.

Malgré beaucoup d’inconnues, l’antimatière joue un rôle crucial dans le futur de l’humanité. Que ce soit dans le domaine de l’énergie ou de la médecine, chaque découverte aboutit à une nouvelle découverte qui sera utilisée dans nos vies quotidiennes, la science appliquée. Par exemple, si nous trouvons un jour une anti-planète, nous pourrions l’exploiter pour alimenter la planète en énergie en l’annihilant. Cela pourrait nous faire penser au carburant du vaisseau spatial Enterprise de la série Star Trek. Enfin, les médecins peuvent déjà cibler les tumeurs avec des faisceaux de protons qui ne libèrent leur énergie qu’après avoir traversé des tissus sains. Mais les scientifiques travaillant sur l’expérience des cellules antiprotons du CERN ont étudié l’efficacité et l’opportunité d’utiliser des antiprotons à la place, ce qui ajoute une énergie supplémentaire. 

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