NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.6, Janvier 2022 "Le réseau AEFE : le monde des possibles")
1- Bonjour M. Colombel. Vous occupez le poste de chef d’établissement de notre lycée. Quelles sont vos responsabilités ?
Le lycée français d’Istanbul est un lycée conventionné du réseau AEFE. Nous avons en France le réseau le plus étendu au monde. Le chef d’établissement est responsable de l’ensemble du personnel de l’établissement. La particularité est qu’en France, nous sommes personnels de direction uniquement au second degré, alors qu’à l’étranger, nous sommes responsables également du primaire avec un rôle pédagogique que l’on retrouve comme en France, permettant la réussite de tous les élèves. Nous avons aussi des tâches supplémentaires en fonction du pays dans lequel on se trouve, au niveau de la sécurité, de la gestion de l’établissement et du recrutement du personnel. Ces tâches ne sont pas assurées de la même manière en France.
2- Dans quels pays avez-vous voyagé, dans quels établissements scolaires avez-vous exercé au sein du réseau AEFE ? Quel est l’intérêt des voyages dans votre métier ?
Avant d’être personnel de direction, j’étais professeur de sciences économiques et sociales. En tant que professeur expatrié, j’ai donc commencé à travailler à l’étranger très tôt. J’ai été professeur au lycée Lyautey de Casablanca au Maroc dans le cadre de mon service national civil à l’époque où il était obligatoire. J’ai été en poste à Madagascar au lycée Français de Tananarive et au lycée de Bogota en Colombie. Après avoir réussi le concours de personnel de direction, j’ai été 6 ans en France sur deux postes différents. J’ai ensuite été proviseur au lycée de Caracas au Venezuela avant de venir exercer au Lycée Français Pierre Loti d’Istanbul.
Dans une expatriation, le fait de vivre dans un pays différent et les expériences que cela apporte façonne à la fois ce qu’on est personnellement mais aussi notre façon d’exercer notre métier. L’intérêt majeur de vivre ces expériences est de retrouver des élèves de cultures différentes.

3- Pouvez-vous nous parler de la dernière crise que vous avez dû gérer, de quoi s’agissait-il et comment l’avez-vous géré ? En particulier, quels impacts la pandémie a-t-elle eu sur l’enseignement au lycée Pierre Loti par rapport à la France et au réseau AEFE ?
La crise majeure que nous traversons tous actuellement dans nos établissements scolaires et pas seulement dans le système éducatif français est évidemment celle liée à la pandémie Covid-19. En 2020, quand les écoles ont fermé en Turquie au mois de mars, il a fallu passer très vite d’une situation de présentiel à une situation de distanciel. Ce qui peut paraître compliqué dans des administrations, l’est encore plus dans un établissement scolaire. La grande difficulté a été de passer d’un système présentiel à un système distanciel en étant dans un système éducatif qui pourrait être moins adapté que d’autres au distanciel. Il y a eu pour les apprentissages par exemple un groupe de pilotage et trois groupes de travail pour accompagner les professeurs et assurer le suivi des élèves. Le groupe de pilotage qui intègre les deux professeurs formateurs expatriés. Pendant cette période de crise, nous nous sommes réunis toutes les semaines pour faire le point avec un groupe spécifique au primaire mené par la directrice du primaire et l’EMFE, un groupe sur le suivi des élèves suivi par le proviseur adjoint et la CPE et un groupe animé par Monsieur Lambert et moi-même qui portait davantage sur les apprentissages en tant que tels. Dans le secondaire ces groupes étaient issus du conseil pédagogique qui est l’instance où nous échangeons sur les questions pédagogiques pour notre établissement.
4- Est-ce que la pandémie, et en particulier l’enseignement en distanciel ou en hybride, ont changé radicalement votre approche de l’éducation ?
Même si ces formes d’enseignements ont changé mon approche à la marge sur certains points, elles n’ont absolument pas changé mon approche sur un point principal. Je suis convaincu, pour avoir exercé le métier pendant 20 ans, que le métier d’enseignant est un métier qui doit s’exercer dans un lieu en présentiel. Quand nous suivons un cours, il y a dans la posture de l’enseignant, dans sa façon de parler, dans la façon d’interpeller les élèves et même dans la façon dont les élèves répondent, toute une série de paramètres qui sont indispensables et qui contribuent de manière inconsciente à la perception que les élèves ont du message. Le métier d’enseignant, que je considère comme le plus beau métier au monde, est un métier relationnel qui nécessite d’être exercé en présentiel. La pandémie ne m’a pas fait changer d’avis sur la question, elle a au contraire montré que nous ne pouvons faire cours ni apprendre en étant en distanciel. Cela ne veut pas dire que rien n’est faisable en distanciel ; au contraire, ce système peut être plus propice à certaines activités comme notamment le fonctionnement des clubs.
5- Quelle est la philosophie derrière les principes éducatifs du lycée Pierre Loti et des établissements du réseau l’AEFE ?
De manière générale, ce qui fait la force de notre système éducatif est une manière de construire l’argumentation et une pensée en partageant des valeurs communes, notamment des valeurs de citoyenneté. Dans les valeurs de citoyenneté, il y a par exemple la participation à des instances, qui pour les lycéens sont entre autres le CVL (conseil de vie lycéenne) où les élèves apprennent parmi des adultes à s’exprimer, à argumenter et à revendiquer. Une autre valeur qui caractérise notre système éducatif est la solidarité, donc l’entraide entre élèves. Au niveau du réseau AEFE, le point central pour nous est la rencontre de cultures différentes qui permettent pour nos élèves une construction d’identité originale.

6- Comment sont mis en œuvre des standards d’éducation identiques au sein des établissements du réseau AEFE et au lycée Pierre Loti ?
Le point central est que dans notre établissement, il y a des professeurs titulaires ainsi que des cadres de l’éducation nationale française détachés auprès de l’AEFE. Les réunions et séminaires divers permettent de rester régulièrement en contact avec les autres chefs d’établissement du réseau AEFE. La continuité se fait grâce à tous ceux qui apportent avec eux leur connaissance du système éducatif français.
7- Voyez-vous des différences entre les lycées de l’AEFE où vous avez exercé ?
Les différences varient en fonction du point de vue dans lequel on se place. Quand on est enseignant, elles tiennent au public scolaire dont la culture diffère. La situation du pays dans lequel le lycée se trouve peut aussi avoir un impact sur la façon dont nous exerçons notre métier. Ce qui fait que le lycée français Pierre Loti est dans une situation particulière est qu’il n’est pas reconnu localement. Chaque établissement a ses spécificités et nous faisons de plus en plus attention à nous adapter au mieux à la culture et aux règles du pays d’accueil.
8- Quelle est la stratégie de développement du lycée Pierre Loti au sein du réseau AEFE pour les années à venir ? Quels sont les enjeux et les objectifs ?
L’objectif principal reste bien évidemment d’améliorer l’existant mais aussi que la communauté éducative (élèves et parents) prenne conscience de ce qu’est cet établissement qui change par son public. Il y a eu un certain nombre d’évolutions ces dernières années mais cet établissement garde toujours une identité propre. Ce qui est important est qu’il y ait des événements qui permettent de rassembler notre communauté éducative. Un des événements majeurs à venir en 2022,2023 est l’anniversaire de l’établissement qui va coïncider avec le centenaire du décès de Pierre Loti qui a donné son nom à notre établissement.
9- Que conseilleriez-vous aux alumni du lycée Pierre Loti pour garder le lien et partager cet état d’esprit propre à l’enseignement français à l’étranger ?
Faire partie du réseau AEFE permet aux élèves d’avoir des expériences uniques qui les lient entre eux. Nous pouvons voir que même les élèves d’autres lycées du réseau peuvent avoir une connexion particulière due aux expériences similaires qu’ils ont eues dans le cadre de leur éducation. C’est pour cela que j’encourage fortement les anciens élèves de notre lycée à s’inscrire à l’association des anciens élèves afin de rester en contact avec leurs camarades et de faire continuer cet esprit de communauté.