Pendant une journée entière, les élèves des classes de seconde ont eu la chance de rencontrer et de pratiquer le théâtre avec un comédien et acteur de télévision.
D’origine turque et ayant fait ses études en France, Fehmi Karaarslan a gentiment accepté de consacrer une journée à chacune des classes de seconde pour dispenser une formation courte. A cette occasion, nous l’avons interviewé à la fin de sa dernière intervention, avant son départ :
- Si vous n’étiez pas acteur, que seriez-vous ?
« Je serais musicien. Car je pense qu’il y a une vraie connexion entre l’art et nous-même. L’art est une chose très importante pour moi, c’est la liberté d’expression, la créativité. Notre inconscient devient visible grâce à l’art. Je pense avoir vraiment besoin de sortir « le monde qui est en moi » à travers l’art. Donc si je devais faire un autre métier, ça serait probablement de l’art mais d’un autre style. Je pense que le métier de musicien me correspondrait, ça représente pour moi une expression de mon moi intérieur. »
- Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ?
« Être sur un plateau de théâtre »
- Avez-vous de nouveaux projets pour l’avenir ?
« Je joue déjà mon spectacle « Gomidas» en turc et en français, ce qui me prend beaucoup de temps. Mais peut-être que nous allons préparer un nouveau spectacle pour l’année prochaine. Mais nous ne savons pas encore. C’est en progrès. Nous sommes également en train de réfléchir à de nouveaux projets pour la télé. »
- Comment avez-vous trouvé cette expérience à Pierre Loti ?
« C’était la première fois que je travaillais avec des adolescents de quatorze à seize ans. Normalement, je travaille plutôt avec des professionnels de haut niveau. C’était donc vraiment important pour moi de découvrir à quel point les adolescents ont des capacités d’acteur lors de leur passage de l’enfance à l’adulte. Il y a une vraie connexion au jeu, très rapide. C’était très ludique et il y avait une bonne énergie, vivante. Mais il y avait, évidemment, moins de contrôle par rapport à des personnes expérimentées. C’était très intéressant de voir qu’une fois qu’ils se concentrent, certains élèves pouvaient faire des choses merveilleuses. J’ai vraiment vu des choses inattendues. Cette qualité m’a vraiment impressionnée. J’ai découvert grâce à cette formation qu’avec une bonne base, tout venait avec l’âge et l’expérience. »
- Avez-vous apprécié enseigner à des élèves ?
« J’ai beaucoup apprécié enseigner à des élèves de votre âge. C’était juste un peu difficile parfois : plus le temps passait et plus les élèves avaient moins de contrôle, moins de concentration. Mais c’est normal ! C’est difficile d’intéresser des élèves pendant six heures autour d’un sujet. Même si mon métier est ludique, il en est aussi conscient. Du coup quand c’est ludique, on s’amuse et c’est bien mais il faut aussi avoir des bases conscientes. Sans la conscience, les élèves commencent à perdre le contrôle. Mais j’aime bien, il faut avoir les deux. »
- Vous êtes turc mais vous avez étudié le théâtre en France et le français n’est pas votre langue maternelle, comment c’était ? Difficile ?
« Oui, j’ai appris le français très tard. J’ai commencé à apprendre le français à 18 ans à l’université. Ensuite, j’ai travaillé dans le tourisme ce qui m’a permis de parler à des étrangers en français. Puis, je me suis installé en France. Au début, j’ai vécu à Lyon, c’était difficile les premiers temps. Heureusement, j’ai passé un an à l’université de Lyon II et cela m’a vraiment permis d’apprendre le jargon théâtral. J’ai fait ma troisième année de licence théâtrale à Lyon II. Grâce à cette expérience, j’ai réussi un concours d’entrée au conservatoire. Malgré le fait que j’ai un accent, ça leur a plu. J’ai continué à travailler mon français avec un crayon dans la bouche. J’ai travaillé mon accent mais aussi surtout l’articulation et l’intonation. Je pense que pour la langue française, c’est l’articulation qui est importante plutôt que l’accent. Puis j’ai joué devant des spectateurs. Au début, j’ai utilisé mes défauts pour les personnages que je créais. J’ai créé un personnage qui s’appelle M. Patin. Puis, on a créé un spectacle en trio. On a joué à Lyon, on a fait plusieurs tournées en France. Ce spectacle a très bien marché. Et, j’avais un accent quand je jouais ce spectacle. J’ai transformé mon « défaut » en avantage, c’est devenu un atout. Aujourd’hui, je l’adore et si je travaille beaucoup je peux même faire disparaître mon accent, mais il faut que je travaille vraiment car ce n’est pas ma langue maternelle. »
- Quels sont vos moments forts au conservatoire ?
« Déjà le début parce que c’est émouvant de rentrer dans la plus grande école de théâtre en France. Ma rencontre avec Daniel Mesguich et le fait qu’il m’a laissé entrer au conservatoire m’a beaucoup marqué. C’est aussi les cours que l’on a eu avec les grands maîtres du théâtre, de la comédie française. Les cours de masque avec Mario Gonzalez étaient très touchants, très intenses. Faire partie d’un ensemble d’élèves sélectionnés par environ deux-mille personnes, c’était comme être avec les ‘élus’, c’était une bonne expérience. »
- Meilleur souvenir d’acteur ?
« Au conservatoire de Paris, nous avons les « journées de juin », ce sont des journées consacrées au conservatoire et aux travaux. J’ai fait une performance en solo. Je jouais un philosophe fou qui parlait de tout. Et ce qui était génial, c’est que ça a vraiment plu à tout le public. Toute la salle m’a applaudi debout pendant très longtemps. Mon monologue durait environ six à sept minutes, ce qui est long. L’idée était de travailler toute l’année des monologues ou des scènes avec notre professeur de cours d’interprétation, puis montrer notre travail pendant les jours de juin aux visiteurs. Moi, j’avais mon monologue et une autre scène partagée avec une amie. Chaque scène durait cinq à sept minutes puis on passait aux autres. On montrait les travaux de toute une année. Et là, mon monologue à moi, a été le préféré de tout le monde. J’avais vraiment apprécié. Les gens étaient morts de rire, j’ai un très bon souvenir de ce jour-là. C’était d’autant plus marquant car c’était la fin de ma formation d’acteur en France. Être applaudi par des Français, alors que le français n’est pas ma langue maternelle était émouvant. Ça m’a donné beaucoup de courage pour continuer à jouer en français. »
- Quel personnage aimez-vous ou aimeriez-vous jouez ?
« Comme tout acteur, j’aimerais bien jouer un jour de grands rôles. J’ai beaucoup joué dans le théâtre, ce qui fait que j’ai beaucoup utilisé ma « palette », j’ai pu toucher à plein de couleurs. J’aimerais jouer des grands personnages iconiques comme Dom Juan de Molière. J’aimerais bien jouer Hamlet cet été. Mais le problème c’est que cette saison, il y a plusieurs Hamlet qui vont être interprété par le théâtre municipal, les festivals de théâtre et une compagnie privée… Nous avons donc renoncé à cette idée. Mais peut-être que ça sera pour la prochaine fois ! »
- Votre pièce de théâtre préférée ?
« A vrai dire, avoir une pièce préférée, c’est un peu difficile. Mais j’aime bien les classiques. J’aime Racine par exemple, mais pour jouer ! Pas pour regarder. J’aime aussi le théâtre antique, grec, romain, comme Sénèque. J’adore Molière, mais façon comédie française. Je veux dire, j’aime l’exigence dans les classiques. Hamlet par exemple demande une certaine exigence dans sa mise en scène, dans sa vision théâtrale assez développée. Autrement je pense que ça devient rapidement n’importe quoi. J’ai un véritable amour pour les classiques, mais c’est difficile. »
- Vous préférez faire du théâtre en turc ou en français ?
« Ce sont deux choses complètement différentes. Quand je joue en turc, je sens quelque chose qui m’est comme collé. C’est ma langue maternelle, je le fais tout naturellement. La langue française, bien évidemment, après tant d’années d’expérience est devenue une partie de moi qui m’appartient. C’est comme ma deuxième langue. Mais comme je l’ai apprise plus tard, cela me demande un certain effort. Mais je trouve cet effort intéressant parce que cela crée une petite distance. En dépassant cette barrière, je trouve une liberté incroyable. J’adore jouer en français, ça me force et je cherche le côté naturel dans la force et dans l’inattendu. C’est du pur plaisir. Quand je joue le même personnage en français et en turc comme Gomidas, je vois deux choses différentes. Déjà les résonances de la langue turque, l’articulation, la mentalité n’est pas la même. En français, ça n’a rien à voir. Déjà l’articulation seule nous emmène ailleurs. Moi j’aime bien cet ailleurs. Je travaille beaucoup avec l’« ailleurs ». Cette idée est d’ailleurs très facile d’accès avec la langue française. Déjà c’est poétique, on peut dire que la poésie c’est cet ailleurs aussi. »
- Enfin, si je vous dis « Molière », que répondez-vous ?
« Le théâtre. »
Merci à Fehmi Karaarslan d’avoir passé une journée avec chacune des classes de seconde et merci également d’avoir participé à cette interview.
L’acteur joue en ce moment même son spectacle en turc et en français « Gomidas », je vous invite à le découvrir.