Pour les gens qui participent pour la première fois au festival de Cannes, il n’est pas simple de s’y retrouver. Essayer de voir le plus de films possible parmi un nombre de séances limitées est un grand défi ! Et puis, il y a aussi plusieurs sections dans le festival de Cannes.

La section la plus réputée est bien sûr la Sélection officielle où les différents long métrages sélectionnés sont en compétition pour la Palme d’Or qui est le prix le plus prestigieux de cette catégorie et du festival.
La deuxième section la plus reconnue dans le monde est Un certain regard. C’est une section dérivée de la sélection officielle du Festival de Cannes, créée en 1978. Cette section récompense des cinéastes inconnus ou peu connus et présente un cinéma plus audacieux et original que celui de la sélection officielle. Cette section peut aussi proposer des films expérimentaux, venant parfois de grands cinéastes. Le prix le plus prestigieux d’Un certain regard (et le deuxième plus prestigieux du festival) est la Caméra d’Or.
La section Hors compétition présente des longs métrages à gros budget et grand public.
Il y a aussi des sections moins connues comme la section Courts métrages. On y retrouve les films de moins de 15 minutes. Ces courts métrages sont en concurrence pour la Palme d’Or du court métrage.
La Cinéfondation est une section assez nouvelle qui a été créée en 1998. On y trouve des longs métrages venant de différentes écoles de cinéma. Ils sont projetés au festival et, après l’atelier, la cinéfondation aide à la production des œuvres.
Depuis quelques années, il y a la section Cannes Classics qui, comme son nom l’indique, projette des films anciens, voire classiques, de cinéastes cultes ; et aussi la section du Cinéma de la plage qui fait des projections thématiques en plein air tous les soirs pour le public cannois et les festivaliers. Le Cinéma de la plage est la seule section où les spectateurs n’ont pas besoin d’accréditation.
J’ai finalement choisi de me limiter aux deux catégories les plus importantes: la Sélection officielle et Un certain Regard.
Vous trouverez la liste des récompenses du dernier festival dans l’article Palmarès du festival de Cannes 2022 [lien vers l’article correspondant]
Juste avant de parler de quelques films qui ont participé à la 75e édition du festival, j’aimerais partager une observation : une grande partie des films étaient plus longs que d’habitude et malheureusement cette tendance ne rajoute pas nécessairement quelque chose à la qualité. Peut-être qu’après deux années de covid, on n’arrivait plus à s’arrêter, à dire “coupez”….

The Stranger de Thomas M. Wright (Un certain regard)
Genre : Thriller soporifique
C’est un polar dont l’action se passe en Australie. Malheureusement, c’est un film très lent et dans la plupart des scènes la lenteur de la scène n’est pas justifiée. Ces scènes étant trop récurrentes durant ce film soporifique, le spectateur s’ennuie et se perd dans l’histoire. On pourrait peut-être classer le film plutôt dans le genre documentaire que thriller policier puisque l’histoire repose sur une histoire vraie. Durant la première partie du film, les spectateurs étaient un peu perdus dans l’histoire car elle avançait à une vitesse considérablement lente. Ce manque de dynamisme pendant le début du film a fait que les spectateurs ne pouvaient pas rentrer dans l’histoire. A force de regarder des scènes qui ne se suivent pas avec des intervalles trop longs, on perdait le fil de l’histoire et on pouvait s’assoupir. On peut penser que la vision du réalisateur était de partager les actions et les pensées d’un psychopathe. Cependant je n’avais pas d’empathie envers ni le protagoniste ni sa victime. En terme de visuel, la lumière et les images demeurent assez sombres d’un bout à l’autre du long-métrage. L’enjeu est de plonger le spectateur dans une dimension inquiétante et par le biais de la personnalité dévastée de Mark et Henry, l’un du côté des victimes et l’autre du côté des auteurs du crime. La complexité de la relation entre les deux hommes est reflétée par de longs silences. Il faut accepter la lenteur des scènes puisqu’elles font partie d’une immersion dans les eaux profondes de la psychologie d’un tueur. Je ne recommande pas ce long métrage.

E.O. de Jerzy Skolimowski (Sélection officielle)
Genre : Biographie animalière
E.O. est un film atypique où le protagoniste est un animal. C’est un film très attachant où l’on suit la vie d’un âne. Cela peut vous paraître étrange et même absurde. Mais durant tout le film, on s’attache à l’âne. On ne s’ennuie pas du tout et on ressent de l’empathie envers l’âne. On observe les hommes par les yeux de l’âne et on se questionne parfois sur nos comportements humains vis-à-vis des animaux. Le film pointe du doigt des sujets très pertinents, surtout la vente de la viande d’animaux et la maltraitance des animaux. En même temps, le visuel du film est très riche avec des paysages extraordinaires à regarder et les cadrages donnent envie d’y être, avec notre cher âne. Durant le film, on a plusieurs scènes où on a l’âne en gros plan et c’est dans ces scènes que l’on peut comprendre ses émotions. Ce qu’il ressent est perceptible en regardant ses yeux. Pendant le film, l’âne change plusieurs fois de propriétaire. Durant la période de changement et lorsque l’âne est avec ses différents propriétaires, on peut voir que l’animal est considéré comme une marchandise. Les propriétaires et les autres personnages du film n’ont pas souvent assez conscience que l’âne a des sentiments. Avec très peu de dialogues, on ressent quand même beaucoup de choses à travers l’expression du visage de l’âne, par la mise en scène et ce que le réalisateur veut nous montrer dans chaque scène. Le réalisateur a réussi à nous faire partager beaucoup de choses uniquement par le biais de l’image et en l’absence de dialogues. Il faut absolument le voir. C’est le bijou du festival.

Hunt de Lee Jung-Jae (Hors compétition)
Genre : Policier historique coréen
C’est un film policier coréen qui se déroule après la séparation de la Corée entre le nord et le sud. L’intrigue se noue autour de la tentative d’assasinat du président de la Corée du Sud. Il faut bien admettre que l’Occident ne connaît pas beaucoup de choses sur ce sujet historique. Si cet assasinat avait réussi, alors aujourd’hui on aurait une Corée unie au lieu de deux Corée en tension. Malheureusement pendant le film, on n’arrive pas à bien suivre ni l’histoire, ni les stratagèmes des agents gouvernementaux qui travaillent à cette réunification tant rêvée. Ce film aurait pu avoir sans doute un plus grand succès dans la zone Asie-Pacifique. Le film fourmille de personnages secondaires d’apparence similaires, dans des costumes identiques et des rôles éphémères. Tous ces agents tombent comme des mouches les uns après les autres. Le spectateur a vraiment du mal à se retrouver dans cette galerie d’agents gouvernementaux assez indiscernables. A cause de cela, le spectateur se perd dans les différentes scènes d’action. J’ai trouvé que la conclusion du film n’était pas très satisfaisante. C’est un film d’action finalement très classique.

Rodeo de Lola Quivoron (Un certain regard)
Genre : Polar sociologique urbain
Le film révèle la face cachée des quartiers en difficulté. La vie des personnes vivant dans des HLM [Habitations à loyers modérés] des banlieues françaises est rarement montrée au cinéma. La protagoniste de l’histoire est fan de moto. Elle les vole pour pratiquer sa passion : faire des figures acrobatiques à moto. Le langage employé qui est celui de la banlieue défavorisée sonne juste. Chaque personnage de l’histoire dépeint une partie de la population vivant dans les quartiers. C’est un film indépendant qui parle d’un sujet très intéressant sur lequel on devrait sensibiliser davantage. L’actrice vedette est extraordinaire de vérité. Est-ce qu’elle joue ou bien se comporte-t-elle comme d’habitude ? On se laisse emporter par cette histoire très crédible. Ce n’est pas pour rien que le film a reçu le prix Coup de cœur du Jury. Les scènes reflètent bien la vie quotidienne d’aujourd’hui dans certaines banlieues en France.

Tchaikovsky’s Wife de Kirill Serebrennikov (Sélection officielle)
Genre : Drame historique
C’est un film historique qui retrace la vie de Tchaikovsky par le biais du vécu de sa femme. Avec un mari qui s’intéresse davantage aux hommes qu’aux femmes, dans une société extrêmemement fermée où les rumeurs vont bon train, c’était dur pour sa femme de s’y retrouver. C’est un film très sombre au propre comme au figuré, l’ambiance est froide durant tout le film. Il se déroule dans des décors verdâtres assez sordides ou dans les rues sombres de Moscou. Le film montre comment la femme de Tchaikovsky perd la tête petit à petit, torturée par l’amour et l’obsession qu’elle porte à son mari, musicien de génie. L’actrice fait passer beaucoup d’émotions avec peu de dialogues. Alyona Mikhailova est magnifique dans son rôle. A mon avis, il est triste que le Jury n’ait pas voulu accorder un prix pour un film russe. C’est peut-être un choix guidé par des considérations politiques, même si le réalisateur est actuellement en exil…

Flee de Jonas Poher Rasmussen (Hors compétition)
Genre : Drame de l’immigration
Pour changer, ce film est un dessin animé. Le film se présente sous la forme d’un témoignage. Il retrace l’émigration d’un afghan en Suède. Le voyage est terrible mais le protagoniste ne baisse jamais les bras. C’est une animation très réussie qui va vous toucher profondément. On comprend mieux la vie des personnes qui n’ont pas les mêmes possibilités que la plupart d’entre nous. Après ce film, il est possible de développer plus de compassion envers les immigrants qui essaient de tout recommencer dans un autre pays.

When You Finish Saving the World de Jesse Eisenberg (Un certain regard)
Genre : Histoire psychologique bon marché
Ce film est le premier long métrage de l’acteur Jesse Eisenberg en tant que réalisateur. Le film traite d’une relation tendue entre une mère et son fils. Je n’arrive pas a comprendre comment cet acteur primé a pu choisir pour son premier film un thème déjà exploré de nombreuses fois. Son film souffre d’un certain nombre de défauts : il y a plusieurs scènes qui n’apportent rien à l’histoire, le scénario ne progresse pas… et le film n’aboutit nulle part. J’ai été très déçu par ce film qui manque de dynamisme. Même si j’aime beaucoup les acteurs, je ne peux pas le recommander et je ne pense pas qu’il va sortir facilement au cinéma.

Armageddon Time de James Gray (Sélection officielle)
Genre : Classique américain
C’est un film classique américain avec un scénario peu intéressant et repris plusieurs fois. Une des seules bonnes choses dans ce film est d’y voir Anthony Hopkins à son meilleur. On ne sait pas combien de films il pourra faire encore mais son rôle n’est pas oublié dans cette œuvre. James Gray s’est inspiré du film Les 400 coups de Truffaut, tout en revisitant les éléments typiques du cinéma de ce grand cinéaste. L’histoire tourne autour d’une famille juive immigrée où l’on retrouve des conflits avec le père et des désirs d’émancipation. Je ne recommande pas ce film qui ne se démarque pas des autres films présentés dans la sélection officielle de cette année.

Three Thousand Years Of Longing de George Miller (Sélection officielle)
Genre : Conte fantastique
George Miller a décidé de faire un film de contes en mélangeant les histoires d’Aladin, Hezarfen Çelebi et les Mille et une nuits. Une petite dose de harem, un peu de Bosphore pour le pittoresque et bien sûr des assassinats de princes… Car il n’y a pas de meilleur endroit qu’Istanbul pour situer un conte orientaliste. J’étais très content de voir les jeunes acteurs et actrices turcs jouant aux côtés de très bons artistes comme Tilda Swinton et Idris Elba. Je ne peux pas dire que ce film était excellent, mais voir George Miller fantasmer sur Istanbul procure un énorme plaisir… Il est fort probable que ce film viennne à Istanbul. Je vous le conseille fortement.

Final Cut de Michel Hazanavicius (Hors compétition)
Genre : Film d’horreur comique
Cette année, le film d’ouverture du festival était absolument génial ! J’ai eu la chance de le voir dans le Palais des festivals. Malheureusement, des spectateurs impatients ont quitté la salle pendant la première quinzaine de minutes du film. Dommage, car c’était juste là qu’il fallait rester. C’est un film français atypique. Un remake d’un film japonais de zombies dont le titre est Ne coupez pas. Si vous n’aimez pas le genre, donnez tout de même une chance à ce film. Dans un film d’horreur, on devrait avoir peur, évidemment. Mais ici, on rigole de bon cœur car c’est aussi un film comique. Il contient un bon nombre de situations et de répliques qui vous mettront le sourire aux lèvres. La construction du film est irréprochable : chaque détail est à sa place. Les acteurs sont excellents. Il est dommage que ce film n’ait pas été en compétition.