Yohanan Benhaïm, chercheur à l’Institut français d’études anatoliennes

NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.7, Mai 2022 "La France à Istanbul, une présence durable")

Entretien réalisé dans le cadre de la rubrique orientation par les lycéens du club Crescendo du Lycée Pierre Loti avec Yohanan Benhaïm, chercheur en Sciences humaines, responsable des études contemporaines de l’IFEA, fin mars 2022. 

Vous êtes chercheur en sciences humaines, un métier qui est peu connu des lycéens. Pourriez-vous nous dire en quoi il consiste ? Quelles sont vos journées-types en tant que chercheur par exemple ? Et quels sont les événements moins ordinaires auxquels vous avez participé ou que vous avez organisés ?

Les chercheurs en sciences humaines sont des personnes qui travaillent sur l’humain et les sociétés humaines contemporaines ou passées. Les sciences humaines regroupent ainsi un ensemble de disciplines telles que la sociologie, l’histoire, la géographie, la philosophie, etc. Je suis politiste, c’est-à-dire que je suis chercheur en science politique. Cette dernière est la science humaine qui est consacrée à l’étude du pouvoir politique et des institutions dans les sociétés contemporaines. Elle puise à ce titre dans plusieurs autres disciplines des sciences humaines : l’histoire, la sociologie et les relations internationales par exemple. 

Le travail de politiste ou de chercheur en général est de collecter des données, du matériel qui va lui permettre de réfléchir sur sa thématique de recherche. Un historien va étudier des archives par exemple, et un chercheur en science politique ou en sociologie va mener une enquête, un peu comme un journaliste, en faisant des entretiens avec des personnes qui travaillent dans des domaines qui l’intéressent. Par exemple, si je travaille sur la politique étrangère, je vais faire des entretiens avec des diplomates. Par ailleurs, ces données, un chercheur peut les trouver dans des livres, des articles de revue, dans la presse. Donc les chercheurs passent aussi une grande partie de leur temps à lire des ouvrages ou des revues liés à leurs domaines de recherche. 

Ensuite, le deuxième aspect du travail est la publication. Il s’agit de publier à la fois mon travail de chercheur dans des revues scientifiques ou dans des livres et d’expliquer ce que je fais au grand public. C’est pour cette raison que je publie parfois dans des journaux, et c’est pour cela que cet entretien avec vous est important car ça permet de mieux comprendre ce qu’est le métier de chercheur. Avec la guerre en Ukraine par exemple, on entend beaucoup de chercheurs nous expliquer la situation dans les médias, car ils ont une analyse de la situation qui nous permet de mieux comprendre ce qui se passe, pour nous qui ne connaissons pas la région. Le troisième point est celui de l’enseignement. En plus de faire de la recherche et de publier, j’ai enseigné dans des universités, par exemple à la Sorbonne ou à Sciences Po Paris.

Pensiez-vous devenir chercheur quand vous étiez au lycée ? Après le bac, quel a été votre formation et votre parcours personnel pour le devenir ?

Je ne savais pas vraiment ce qu’était le métier de chercheur au lycée. Après le bac, j’ai fait une double licence d’histoire et de science politique. Ensuite, j’ai fait une année d’échange dans le cadre d’un master d’histoire à l’Université de Bogaziçi. Puis, j’ai fait un master professionnel sur la sécurité internationale à Sciences Po Paris, pour ensuite commencer une thèse à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il me semble qu’en général on devient chercheur par passion, et c’est souvent un peu le fruit de hasards lorsqu’on se découvre un intérêt pour une région, une discipline ou une question en particulier. C’est au cours de mes études que je me suis passionné pour la Turquie et les pays de la région. Je voyageais dans les Balkans et en Turquie pendant mes vacances et j’aimais beaucoup la région, mais c’est lors d’un échange à Istanbul, dans le cadre du programme Erasmus avec l’Université de Bogaziçi, que je me suis vraiment intéressé à la Turquie, et j’ai beaucoup aimé vivre à Istanbul. J’ai ensuite appris ce que c’était le métier de chercheur, par le biais de l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA) dans lequel j’ai fait un stage cette année-là. J’ai voulu continuer à apprendre et à étudier l’histoire et la culture de la Turquie. C’est donc pour cette raison que le métier de chercheur m’a intéressé, car cela peut être une ouverture sur d’autres sociétés que celle d’où l’on vient.

De manière plus générale, quelles sont les différentes voies pour devenir chercheur en Sciences humaines ? Quels sont les débouchés dans ces métiers ?

Il y a plusieurs métiers dans les métiers de la recherche : il y a des enseignants chercheurs, qui sont des gens qui donnent des cours à la faculté et qui à côté font de la recherche, ensuite vous avez des chercheurs qui font uniquement cela et qui ne sont pas forcément liés à une université mais qui sont liés, en France en tout cas, au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), et puis vous avez des ingénieurs de recherche qui travaillent dans le cadre de programmes de recherche pour épauler la recherche et les chercheurs sur des aspects techniques. 

Ce sont trois types de métiers, mais aujourd’hui cela dépend aussi des trajectoires personnelles et vous pouvez être enseignant chercheur et puis, à certains moments de votre vie, faire uniquement de la recherche ou être ingénieur de recherche mais en fait vous êtes dédié à faire votre propre recherche, donc ce sont des catégories mais qui sont des métiers différents avec des passages qui sont possibles de l’un à l’autre.

Vous êtes le responsable des études contemporaines, et également le responsable du séminaire des doctorants de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) – Georges Dumézil d’Istanbul. Qu’est-ce qu’un doctorant et comment fonctionne la recherche pour un jeune chercheur ?

Un doctorant, c’est quelqu’un qui est inscrit en thèse de Doctorat donc ce qui est après le Master. A l’université, vous avez la licence, ensuite il y a le master où on choisit plus précisément vers quoi on veut s’orienter. Et vous avez des Masters professionnels ou des Masters de recherche, donc qui sont plutôt orientés vers la recherche. Et si vous avez fait un Master recherche, à la fin de votre Master vous réalisez un mémoire de recherche : c’est une centaine de pages à écrire. Et si cela vous plait toujours, si vous voulez continuer sur ce sujet ou si vous voulez continuer à explorer d’autres sujets de recherche, vous faites une thèse de doctorat. Ce n’est qu’une fois que vous avez cette dernière que vous vous engagez dans les métiers de la recherche ou que vous pouvez faire d’autres choses : vous n’êtes pas obligé de faire de la recherche après votre thèse de doctorat. Donc un doctorant, c’est quelqu’un qui fait sa thèse de doctorat sous le contrôle d’un directeur de recherche qui l’aide dans cette recherche. Cela se fait officiellement en trois ans mais ça peut durer plus longtemps, jusqu’à 5 à 6 ans, voire plus. La thèse est un exercice fantastique car on se consacre à un sujet pendant plusieurs années, on fait des rencontres passionnantes et c’est très formateur, bien que ce soit aussi assez difficile. 

Le principal problème aujourd’hui, c’est qu’il y a peu de financement, ça ne veut pas dire que ce n’est pas possible d’être financé mais il y a peu de financement et donc tout le monde n’est pas financé. Mais ce n’est pas impossible de faire une thèse sans avoir de financements au départ, on peut trouver des financements aussi en cours de recherche. 

Comment fonctionne la recherche pour un jeune chercheur ? Il fait son premier terrain : c’est une phase passionnante, parce qu’on fait notre première grande recherche et en même temps c’est un moment où on apprend aussi le métier de chercheur. La spécificité du métier de chercheur, c’est la grande autonomie que cela offre : on n’a pas véritablement de patron à part le directeur de recherche qui est là pour vous épauler et vous aider pendant la thèse, mais sinon, après, on est très autonome dans le travail. Donc, le doctorat c’est aussi une phase d’apprentissage de cette autonomie qui est aussi très importante et très enrichissante pour les jeunes chercheurs. 

Pouvez-vous nous parler de L’IFEA, cet institut de recherche situé dans l’enceinte du Palais de France à Istanbul ? Qu’y cherche-t-on ? Dans quels domaines ? En quoi les recherches qui s’y déroulent sont utiles et comment ? Est-il le seul Institut de recherche de ce type dans le monde ?

L’IFEA est un institut français de recherche à l’étranger. Il y en a de nombreux dans le monde et la France n’est pas le seul pays à avoir des instituts de recherche à l’étranger. L’Allemagne a aussi par exemple des instituts de recherche à l’étranger. A Istanbul, les instituts allemand, suédois, hollandais sont des instituts qui développent des recherches en sciences humaines, en histoire notamment. 

L’institut français d’études anatoliennes a été fondé en 1930 et a d’abord été centré sur l’archéologie, d’abord consacré aux fouilles archéologiques. Depuis plusieurs décennies maintenant, c’est un institut qui s’est développé en trois grands pôles de recherche : d’abord l’archéologie, coeur historique de l’institut comme je vous le disais, mais aussi l’histoire dont une grande partie est consacrée aux études ottomanes, l’étude de l’empire ottoman, mais aussi à l’étude de la période républicaine, puis enfin le troisième pôle qui sont les études contemporaines que je dirige. Au sein des études contemporaines, il y a trois équipes de recherche (ou axes de recherche) : d’abord l’Observatoire urbain d’Istanbul (OUI) qui est consacré plus généralement aux études urbaines à Istanbul et en Turquie ; deuxièmement, l’Observatoire de la vie politique turque (OVIPOT) qui est mon domaine de spécialité et qui est en fait l’étude de la vie politique et de la politique étrangère de la Turquie ; et enfin le troisième axe de recherche du pôle contemporain est l’axe sur les migrations, se consacrant à l’étude des migrations internationales et aux migrations en Turquie puisque la Turquie est à la fois un pays qui a été un pays d’émigration mais qui est désormais un pays d’immigration, ce qui en fait donc un pays extrêmement intéressant dans ce domaine-là. Voilà donc les principaux domaines de recherches.

Comment travaillons-nous à l’IFEA ? Les trois grands types de fonctions que nous avons sont : accueil, recherche et formation. L’IFEA est d’abord une structure de recherche avant tout , donc nous proposons de la recherche collective, nous finançons des recherches, et nous publions des articles scientifiques. En termes d’évènements, nous organisons des séminaires de recherches, des conférences qui sont ouvertes au public, des tables rondes ou des ateliers de travail entre chercheurs. Mais c’est aussi une structure d’accueil : nous proposons des bourses de recherches aux étudiants inscrits dans les universités françaises et qui souhaitent faire de la recherche de terrain en Turquie. L’IFEA est une structure d’accueil pour les doctorants mais aussi pour les chercheurs français ou internationaux qui passent par la Turquie. 

Enfin, une autre de nos fonctions est une fonction de formation puisque dans le cadre des ateliers doctoraux que je coordonne, nous aidons les doctorants et doctorantes à se former au travail de chercheur et à travailler sur leurs projets et leurs recherches de thèse. 

Dans toutes ces activités, nous travaillons aussi activement avec nos partenaires turc parce que, ce qui est très important pour nous, c’est de ne pas travailler uniquement entre chercheurs français, mais aussi avec nos collègues turcs de différentes universités à Istanbul en particulier, mais également en Turquie en général, sur des projets de recherches communs. Nous travaillons avec ces différentes universités de Turquie dans le cadre de ces séminaires de recherche, de ces ateliers de travail ou de ces conférences et nous accueillons ces évènements scientifiques à l’IFEA. Nous participons aussi aux évènements scientifiques dans les universités turques. En tant que chercheurs, nous participons à la vie scientifique et à la vie universitaire au sein des universités de Turquie et nous sommes donc intégrés à la vie scientifique, universitaire et académique de la Turquie.

Jad Atallah
Plus de publications
Berk Ersöz
Plus de publications

Laisser un commentaire