Moi-Toi-Eux : le siècle des femmes artistes

NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.6, Janvier 2022 "Le réseau AEFE : le monde des possibles")

La galerie d’Art Meşher se trouve dans l’immeuble historique Meymenet Han sur la rue Istiklal du quartier de Beyoglu, à Istanbul. Cette galerie, inaugurée en 2010 par la fondation Vehbi Koç se nommait auparavant “Arter”. Elle n’est devenue “Meşher”, ce qui signifie “lieu d’exposition” en ancien turc, qu’en 2019. Depuis ce temps, Meşher promeut différents artistes dans de nombreuses expositions. Par ailleurs, c’est un lieu qui soutient l’initiation de nouveaux dialogues nationaux et internationaux par le biais d’activités, telles que des ateliers et des conférences.

Cette année, Meşher a voulu mettre à l’honneur les femmes artistes. Leur exposition Ben-Sen-Onlar ou encore Moi-Toi-Eux : le siècle des femmes artistes a attiré l’attention des membres du club Heforshe qui n’ont pas tardé à la visiter le dimanche 5 décembre dernier. 

232 œuvres de 117 différentes femmes qui ont vécu et travaillé en Turquie entre les années 1850 et 1950 sont exposées. Selon la curatrice ou commissaire de l’exposition, Mme. Deniz Artun, l’intitulé de l’exposition, “Moi-Toi-Eux”, est inspiré de celui d’une œuvre de la peintre et plasticienne turque Şükran Aziz. 

“Ben, Sen, Onlar” de Şükran Aziz

Le but de cette initiative est de faire connaître au grand public des femmes peintres, sculptrices et plasticiennes qui n’ont pas suffisamment été mises en avant en dépit de leur talent ou de leur génie parce qu’elles sont femmes. Entre le rapport à soi et celui à l’autre, que ce soit toi,ils ou encore elles, l’artiste femme est une conscience, autre, dans le monde.   

Cette exposition n’est pas présentée selon la logique d’un musée. Elle présente véritablement une large diversité d’œuvres artistiques. Sa particularité est de pouvoir montrer au public les œuvres des femmes qui n’ont pas pu être exposées auparavant car à cette époque les femmes artistes étaient mal vues par une société inégalitaire où la femme ne pouvait peindre et sculpter que pour passer le temps. Leur œuvre ne dépassait donc pas les limites de l’intime, vue, tout comme leur autrice, par les plus proches. C’est peut-être pour cela que l’organisation de l’exposition se voulait plus “égalitaire”: toutes les œuvres de l’exposition sont organisées de façon à ce qu’il n’y ait pas de hiérarchie entre eux. Le but du commissaire n’était pas d’organiser les œuvres selon une logique mais de les présenter tous librement sans aucune cohérence pour attirer le visiteur vers l’œuvre qui le captive le plus. C’est cet aspect de l’exposition qui la rend hors du commun. 

L’autoportrait de Müreccel Küçükaksoy

Le premier étage qui représente le “ben” ou le moi concentre essentiellement les femmes de l’ombre, méconnues. Elles se rencontrent, s’épient et se reconnaissent dans le miroir. De nombreux miroirs meublent cet étage. L’autoportrait est le genre qui domine dans cet étage.

Le second étage est le “Sen”, le toi, et se concentre essentiellement sur la maternité et sur l’idée de famille. Hormis les auto-portraits sculptés, peints ou photographiés, Il y a aussi de nombreuses œuvres de femmes nues, la nudité et la sensualité étant fortement soulignées dans cet étage où la femme est représentée dans son rapport avec le monde: femme-mère, femme-amante, femme-muse, femme-nature et femme-témoin. 

La curatrice Deniz Artun au troisième étage de l’exposition

Enfin, le dernier étage renvoie au “onlar”, le eux/elles. Dans cet étage, c’est la vision des femmes qui est représentée. Il y a de nombreuses représentations de fleurs dans un vase: on attendait des femmes peintres qu’elles peignent des objets élégants, délicates et neutres comme les fleurs. Cette exposition nous permet sans doute de mesurer l’étendue du parcours des femmes peintres dans l’histoire des arts. Le pari de Meşher est des plus nobles: donner un nom, un espace et une voix à des artistes longtemps mises en sourdine.

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Yaz Yolaç
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