Parle-moi de tes préférences alimentaires, je te dirai tes qualités et tes défauts…

NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.6, Janvier 2022 "Le réseau AEFE : le monde des possibles")

La culture et la nourriture sont une source d’identité et un patrimoine culturel et naturel porté par les connaissances et les pratiques traditionnelles. Reflétant les codes de conduite et la structure des relations sociales, les habitudes alimentaires offrent un espace de partage de valeurs. Les préférences gustatives diffèrent selon la culture, l’âge, le sexe, les conditions géographiques d’un individu. Les préférences des goûts sont ainsi un élément important qui montre les différences fondamentales des sociétés. Mais alors, comment les préférences gustatives des individus diffèrent-elles selon leurs traits de personnalité ?

Vertumno de Guiseppe Arcimboldo

Une longue histoire de la « personnalité »

Aujourd’hui, le dictionnaire de la langue française Larousse définit la personnalité par un « ensemble des traits physiques et moraux par lesquels une personne est différente des autres ». La personnalité est à la fois innée mais aussi acquise. Le tempérament serait ainsi fixé à la naissance et le caractère forgé avec le temps par son environnement. Plusieurs études sociologiques montrent que la famille, les groupes de pairs, l’école, le travail et tout autre élément qui nous entoure ont un effet sur la construction de notre caractère. 

L’établissement d’une définition exacte de la personnalité humaine et des traits de personnalité remontent à l’Antiquité. Le concept de personnalité d’Hippocrate (460-370 avant J.-C.) se fonde ainsi sur la théorie des 4 éléments (air, eau, feu et terre). Cette distinction montre des similitudes avec quatre fluides du corps humain, à savoir le sang, les expectorations, la bile jaune et noire (qui sont le cœur, le cerveau, le foie et la rate). 

Au cours du IIe siècle avant J.-C., Galien influencé par la théorie des 4 éléments d’Hippocrate, conclut que le corps humain se compose de « chaud, froid, sec et humide » et que les personnes au corps chauds sont mobiles comme les animaux, et contiennent une grande quantité de sang, tandis que ceux au corps froid restent immobiles et inactifs en hiver. La classification d’Hippocrate et Galien a été utilisée par de nombreux chercheurs et a largement façonné et influencé les modèles de personnalité utilisés jusqu’au XVIIIe siècle.


Le débat sur la question de la personnalité est plusieurs fois repris au cours du temps. Vers la fin du XXe siècle, les chercheurs Costa et McCrae établissent ce que l’on appelle « le modèle de personnalité à cinq facteurs ». Ce modèle est basé sur des études longitudinales et empiriques, les caractéristiques mesurées, leur continuité dans le temps. Il a une base biologique, s’adapte à des cultures et des groupes différents et il est facile à utiliser et à évaluer. La théorie des traits de personnalité à cinq facteurs comprend l’extraversion, l’instabilité émotionnelle, l’amabilité, la responsabilité, l’expérience ainsi que l’ouverture d’esprit. Nous pouvons définir ces cinq groupes différents comme suit :

– Les individus extravertis sont des individus sûrs d’eux qui aiment être avec les autres individus sociaux. Ils sont forts, amicaux, bavards, énergiques, joyeux, à la recherche de sensations fortes et affirmés ;

– Les individus compatibles sont serviables, amicaux, ce sont des gens amicaux et coopératifs. Les relations sociales avec eux sont plus fortes que celles des individus incompatibles 

– Les responsables sont confiants, rassurants, calmes, conscients, ordonnés, efficaces, responsables, organisés. Ils sont perfectionnistes et ce sont des travailleurs qui aiment jouer. 

– Les personnes à esprit ouvert cherchent à vivre des expériences différentes. De tels individus ont une forte imagination, la capacité à accepter les opinions différentes, de la créativité, des intérêts artistiques et intellectuels, des capacités de réflexion polyvalentes et ils sont curieux. 

– Les personnes à instabilité émotionnelle sont majoritairement nerveux, tristes, lâches, malheureux, anxieux, peu sûrs d’eux-mêmes, renfermés, coupables. Des adjectifs tels que tendus, anxieux, agités, déprimés, pessimistes, problématiques décrivent cette structure de personnalité.


Le goût et le choix des goûts ?

Effectivement ! Vous avez bien entendu : le goût ne nous est pas imposé, nous passons par l’élimination de certains repas et nous en préférons d’autres. Notre cerveau nous joue des tours… Incroyable !? Avez-vous déjà pensé pourquoi vous mangez votre viande à moitié cuite ? Pourquoi refusez-vous de manger des repas piquants ? Pourquoi, pour certains, les gâteaux au chocolat sont meilleurs que les gâteaux à la fraise ? 

Selon des études de sociologie, le goût est lié aux modèles culturels et aux niveaux de goût des aliments préférés. Le philosophe David Hume, qui étudie la psychologie de l’esprit, considère le goût comme « la capacité de ressentir du plaisir » et définit le goût comme « l’exploration de tous les contenus de la composition » ! En biologie, le terme goût est la capacité d’un organisme à percevoir immédiatement certains composés chimiques comme des saveurs. C’est l’un des cinq sens des humains et des animaux.

En moyenne, 20 % sont formés par le goût et le toucher, et 80 % par l’odorat. Les principaux composés de l’expérience gustative sont des arômes. Les composés aromatiques sont ressentis à la fois par le nez et la bouche. L’expérience gustative se développe tôt dans la vie et influence les préférences gustatives. Lorsque leurs préférences ont été étudiées, il a été déterminé que les nourrissons et les enfants évitent le goût amer et acide et se tournent vers le goût sucré. Selon Lanfer en 2012, les facteurs démographiques, génétiques et environnementaux forment les préférences gustatives d’une personne.

Au XIXème siècle, l’intérêt pour la compréhension des processus sensoriels a continué à augmenter. À la suite de la recherche sur ces processus, il a été avancé qu’il devait y avoir des nerfs séparés pour le goût. Öhrwall a testé la sensibilité des papilles gustatives et il a découvert que certains réagissent à une seule saveur, tandis que d’autres sont sensibles à plus d’un goût. Öhrwall, en même temps, associait le goût au goût de l’eau potable. Zotterman, dans une étude menée par ses collègues en 1955, a recherché si l’eau avait un goût unique. Il a  constaté que pour certaines espèces (telle que le singe), l’eau a un goût différent des autres groupes gustatifs. Il s’est avéré qu’elle avait du goût. Pour cette raison, ils considèrent l’eau comme le cinquième goût. A Harvard, dans les années 1950, une nouvelle méthode psychophysique a été développée par Stevens. Avec la méthode d’estimation directe de la taille développée, les amplitudes des stimuli gustatifs perçus par les sujets ont été déterminées et calculées. Avec cette méthode, quatre saveurs de base ont été réintroduites et sont connues aujourd’hui.


Parallélisme entre la personnalité et le choix des goûts d’un individu

D’après certaines études, on constate que les traits de personnalité et les choix alimentaires sont liés et que la personnalité affecte les habitudes alimentaires et les choix alimentaires. Dans ce contexte, la culture, les facteurs environnementaux, psychologiques, socio-économiques ainsi que les traits de personnalité affectent les préférences gustatives et on pense donc qu’il y a une corrélation entre eux. 

Au début du XXIe siècle, plusieurs chercheurs réalisent des expériences et, en comparant leurs résultats, concluent à des ressemblances entre les traits de caractères et les préférences alimentaires de ces personnes. L’étude menée par Mişoğlu et Hayoğlu en 2005 montre que les femmes sont plus sensibles au goût amer que les hommes. En 2008, Brummett et ses collègues ont mené une étude sur des personnes d’âge moyen présentant cinq types de personnalité à facteurs. Selon leurs résultats, il y a une relation positive entre les individus à esprit ouvert et leurs habitudes alimentaires saines. Dans une étude menée auprès d’étudiants universitaires par Raynor et Levine en 2009, il a été constaté qu’il existe une corrélation positive entre la consommation de légumes et les personnes dites responsables. L’étude d’Eskine et ses collègues en 2011 s’est penchée sur deux groupes, conservateur et libéral, pour connaître le lien entre la perception du goût et les jugements moraux. Selon les résultats, les personnes conservatrices préfèrent le goût amer, alors que les libéraux préfèrent le goût sucré.


En 2012, Vollrath, Hampson et Júlíusson  ont réalisé une étude sur des enfants de 6 à 12 ans. Il a été déterminé que les enfants créatifs consomment plus de légumes et de fruits. De plus, les garçons qui consomment plus de fruits et légumes sont plus extravertis, consciencieux et moins névrosés ! Lunn et ses collaborateurs en 2014 ont examiné la relation entre cinq types de personnalité et l’apport alimentaire. En conséquence, il y avait une relation positive entre l’ouverture d’esprit et la consommation de fruits et légumes, la responsabilité de l’individu et une alimentation saine. De plus, ils concluent que les personnes ayant des niveaux de responsabilité élevés ont un faible risque d’obésité.

Toutes ces expériences au fil des siècles nous montrent que la tendance à la névrose est plus élevée chez les personnes qui préfèrent le goût sucré, et il a été observé un effet négatif chez les personnes responsables qui préfèrent le sucre. Il existe une corrélation positive entre le goût aigre et l’extraversion et l’ouverture à l’expérience. Il existe enfin une relation positive entre la préférence gustative salée, la compatibilité et l’extraversion, mais aussi entre le goût piquant et l’ouverture d’esprit.

Effectivement, « Oui, mieux que la raison, l’estomac nous dirige » comme l’a précisé Jacques Ancelot dans sa comédie à trois actes, L’Important, en 1828 !

Deniz Çaştaban
Plus de publications

Ancienne élève de notre lycée, Deniz continue sa scolarité à Dubai. Elle est notre reporter à l'étranger.

Laisser un commentaire