NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.6, Janvier 2022 "Le réseau AEFE : le monde des possibles")
Le 10 octobre 2021, plus de 100.000 manifestants se sont rassemblés dans la capitale polonaise, Varsovie. Leur revendication ? Soutenir l’Union Européenne et s’opposer aux nouvelles politiques visant à réduire l’influence de l’UE sur le pays, mises en place par le président Andrzej Duda et son gouvernement, ainsi que dans le Sejm (assemblée nationale polonaise).

Ces nouvelles lois ne sont pas dues au hasard. En effet, les relations entre Bruxelles et Varsovie sont très compliquées depuis la crise migratoire des années 2015. Mais depuis mars de cette année, les crises entre les deux acteurs se suivent sans répit.
D’abord, le parti au pouvoir, le PiS, s’est donné pour objectif de réformer le pouvoir judiciaire du pays, ce qui leur permettrait de nommer des juges plus en faveur de leur politique. Cette décision n’a pas été très appréciée par l’Union Européenne, car entrant en contradiction avec l’acquis communautaire, et Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a affirmé qu’elle utiliserait les pouvoirs à sa disposition pour bloquer cette réforme.
Quelques mois plus tard, en juin 2021, une nouvelle crise migratoire a éclaté entre la Biélorussie et la Pologne. 10.000 soldats polonais ont été envoyés à la frontière pour repousser les migrants venant de Biélorussie. Le Sejm a voté en faveur d’un budget pour financer un mur qui couvrirait la moitié de la frontière polono-biélorusse. Il a aussi légalisé le renvoi des clandestins par avion.

L’Europe a eu du mal à réagir à cette nouvelle crise. Alors que les nombreuses organisations non gouvernementales décrivaient avec horreur les conditions de vie des clandestins coincés entre les deux frontières, la Pologne a créé un périmètre de sécurité de 3 kilomètres de large autour de la frontière, interdit aux ONG.
Bruxelles, bien qu’ayant critiqué les actions entreprises par Varsovie, a eu du mal à soutenir Minsk, qui le 23 mai avait détourné un avion qui faisait la route entre Athènes et Vilnius. Loukachenko, président de Biélorussie, avait en effet ordonné l’arrestation de Roman Protosevich, un journaliste Biélorusse, militant d’opposition (également soupçonné d’avoir aidé des milices d’extrême droite durant la guerre du Donbass).
La crise migratoire grandissant, et s’étalant nottament à la Lituanie, de nombreux États appartenant à l’UE sont venus en aide aux deux pays et certains ont même soutenus un budget européen pour construire un mur sur cette frontière de Schengen. Von der Leyen a refusé cette demande, ce qui n’a pas apaisé les relations avec la Pologne.

En septembre 2021, l’UE a fait pression pour que la Pologne arrête d’exploiter les ressources de la mine de charbon de Turów dans le cadre de la politique écologique européenne. Cette mine se trouve en Silésie, une des régions les plus industrialisées d’Europe depuis le XIXe siècle. La région appartenait à l’époque à l’Allemagne et a été octroyée à la Pologne par l’URSS après la Seconde Guerre mondiale. Turów se trouve ainsi juste à la frontière avec l’Allemagne.
La Silésie est aujourd’hui connue pour être une des régions les plus polluées d’Europe, avec un programme de transformation écologique en échec. Cependant, cette région, tout comme le reste de l’ouest de la Pologne, est plutôt opposée au PiS : le parti essaie donc de garder le peu de soutien qu’il possède dans ces régions là pour se donner un avantage électoral. La Pologne refuse donc en majorité de mettre fin à ses industries en utilisant le prétexte économique et celui de la souveraineté nationale pour s’opposer à des politiques de soutien à l’écologie.
On en vient donc à début d’octobre, où la cour constitutionnelle a pris une décision sans précédent dans l’histoire de l’Union Européenne : elle a déclaré que quelques articles de la constitution de l’UE allaient à l’encontre de la souveraineté de la Pologne, en affirmant ainsi la primauté de la constitution polonaise sur la constitution européenne.

Les réactions à cela n’ont pas tardé : le weekend de cette proclamation, plus de 100.000 manifestants se sont rassemblés dans les rues de Varsovie, décrivant ce qui se passe comme un Polexit, c’est-à-dire le retrait de la Pologne de l’Union Européenne. Lors des manifestations, le terme « no polexit » pouvait être aperçu sur de nombreuses pancartes. Sur twitter, le hashtag #NoPolexit était également partagé massivement.
Le gouvernement polonais s’est défendu en disant qu’un polexit n’était aucunement envisageable, et que cette décision était nécessaire pour exprimer la souveraineté de la Pologne face à Bruxelles.
L’UE a déclaré que la Pologne devait à présent payer 1 million d’euros d’amendes par jour jusqu’à ce que la situation soit résolue. Ces amendes ont évidemment été refusées par Varsovie qui accuse l’UE de chantage économique. La Pologne est un des pays qui reçoit le plus d’argent des caisses de l’Union Européenne en subventions et aides diverses. Elle jouit donc du système de péréquation du budget européen mis en place pour soutenir les besoins de certains pays européens tout en refusant de respecter les règles qui ne l’avantage pas, ce qui exaspère la classe politique européenne.
La capacité politique de la Pologne à enfreindre les accords européens dépendra de la situation politique intérieure chez les acteurs majeurs en Europe, que ce soit l’Allemagne dotée d’un nouveau gouvernement post-Merkel, ou bien la France qui choisira son président pour les 5 prochaines années en avril 2022.

La défaite électorale de Trump en novembre 2020 a secoué la Pologne, qui s’était très rapproché de l’administration républicaine durant les 4 ans de la mandature Trump entre 2017 et 2021. La Pologne avait bénéficié d’investissements américains et de nouvelles bases militaires, mais surtout d’un allié de taille dans ses péripéties à Bruxelles.
Varsovie revient donc toquer à la porte de ses alliés du groupe de Visegrad (dit aussi Visegrád 4, ou V4), qui s’étaient entre-aidés lors de la crise migratoire de 2015. Cette alliance de la Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie compte à présent tenter d’intégrer l’Autriche et la Slovénie. Cependant, la défaite électorale de Viktor Orbán, premier ministre hongrois, et de son parti Fidesz contre une coalition unie allant de l’extrême gauche à l’extrême droite hongroise dans les élections d’avril 2022, un scénario qui pour l’instant loin d’être certain, pourrait secouer de nouveau le V4.