15 août 2021, Kaboul -capitale de l’Afghanistan- tombe aux mains des Talibans. Bien avant que les médias n’arrivent sur le terrain, on relaye sur les réseaux sociaux les images des milices triomphantes qui viennent de s’emparer de la ville en quelques heures. Le président, Ashraf Ghani, ainsi que plusieurs autres membres clés du gouvernement ayant fui le pays, le rôle des forces armées de la République Islamique d’Afghanistan fut rétrogradé à une résistance anti-talibane limitée en capacité militaire et surtout en territoire, ne contrôlant plus que quelques vallées isolées dans le pays.

L’aéroport de Kaboul, encore contrôlé par les forces de la coalition otano-américaine, se transforme en une base d’évacuation pour ceux qui veulent tenter de s’enfuir du pays.
Au District de Columbia, le président des États-Unis, Joe Biden, fait face à cette nouvelle crise auquel son administration n’était pas encore prête à répondre. Rapidement, on compare la chute de Kaboul à la chute de Saïgon aux mains du Vietnam nord, 46 ans auparavant.
On critique le repli des forces américaines qui a laissé aux mains des talibans de l’équipement militaire dernier-cri et on s’interroge sur le sort de ceux qui n’ont pas encore pu quitter le pays. À la fin du mois d’août, les raports montrent que la cote de popularité de Biden a chuté de plus de dix points dans les sondages.
C’est une fin brutale pour une guerre qui dure depuis vingt ans. Alors que presque 30 % des américains n’étaient pas encore nés au début de l’entrée en guerre contre l’Afghanistan, beaucoup se demandent ce qui a justifié la mort de tant de civils comme de soldats lors de ces longues années.
Pour cela, il faut remonter à 1979, année durant laquelle l’Union Soviétique a débuté ses opérations militaires en Afghanistan, ce qui, pour résumer, a créé les conditions nécessaires pour les attentats du 11 septembre 2001. L’attaque terroriste, encore inégalée en termes de décès jusqu’à nos jours, choqua le pays, qui demanda une riposte rapide de la part de l’administration de l’ancien président américain George Bush fils.

Les talibans refusant l’extradition d’Oussama ben Laden, le chef d’Al-Qaïda qui avait planifié les attaques terroristes du 11 septembre, les États-Unis déclarent la « guerre contre le terrorisme » et le 7 octobre 2001 envahissent l’Afghanistan alors encore en guerre civile entre les talibans et l’alliance du nord (affaiblie depuis la mort dans un attentat de son chef Ahmed Chah Massoud le 9 septembre 2001).
Les forces américaines, d’abord seulement aidées par Londres puis soutenues par une coalition de plusieurs pays de l’OTAN, ont une très grande longueur d’avance sur les talibans en matière de technologie militaire et en seulement deux mois réussissent à établir un nouvel état, gouverné par le président Hamid Karzai (prédécesseur de Ashraf Ghani).
Malheureusement pour Bush, Ben Laden est introuvable, et il est trop tard pour revenir en arrière, la guerre contre le terrorisme, s’appuyant sur la loi antiterroriste PATRIOT Act, est là pour durer.
Ce n’est qu’en 2011, sous l’administration Obama, que Ben Laden fut trouvé et tué par les forces américaines au Pakistan. Il n’était cependant pas question pour le président de complètement replier les forces de la coalition et de quitter l’Afghanistan. En effet, Washington voulait à tout prix éviter le renouvellement du scénario de la guerre d’Irak de 2003, guerre impopulaire chez le peuple américain mais aussi chez les membres de l’OTAN (la France de Jacques Chirac avait refusé d’y participer) à cause de sa justification douteuse (un casus belli car il sera plus tard avéré que l’administration Bush s’est appuyée sur un dossier de preuves fausses volontairement montées de toutes pièces sur la présence d’armes de destruction massives en Irak), critiquée pour les crimes de guerre commis durant l’invasion ainsi que pour la guerre civile post-bellum causée par le vide sécuritaire et administratif imposé par les forces coalisées.

Pourtant, la stratégie militaire en Afghanistan dut bien changer pour répondre aux demandes de l’électorat américain qui voulait en majorité un repli des troupes. La coalition décida de rappeler une majorité des soldats dans leurs pays respectifs et les remplaça par un système de milices payées par des entrepreneurs militaires (le fameux complexe militaro-industriel) ainsi qu’une nouvelle armée nationale afghane, qui était censée résoudre le conflit sur le long terme.
Ce système mis en œuvre en 2014 continua d’être utilisé jusqu’à la fin du second mandat d’Obama ainsi que durant le mandat de Trump. La présence américaine était ainsi affaiblie, ce qui a donné l’occasion aux talibans de recommencer la reconquête de leurs territoires.
L’armée nationale était trop faible, mal équipée et mal entraînée pour faire face aux talibans. Malgré un appel à la mobilisation générale de la part du gouvernement de la république, les talibans gagnaient en territoire et les désertions paralysaient les armées déjà très inefficaces. Alors que les pourparlers afin de créer un gouvernement de coalition entre talibans et républicains échouaient, le président Trump signa les accords de Doha fin février 2020.
Ces accords impliquaient le repli graduel des forces coalisées contre la promesse des talibans d’empêcher toute opération d’Al-Qaïda basée en Afghanistan. Concrètement, Doha n’était qu’une façade pour Washington qui reconnaissait finalement la situation en Afghanistan. Après son inauguration, Biden n’a fait que terminer le travail commencé par Trump en demandant le retrait des quelques milliers de coalisés encore sur le sol afghan.

Le 29 août 2021, un drone états-unien tua 10 civils afghan. Cela fut la dernière opération militaire du pays en Afghanistan. Le bilan de cette guerre est plutôt lourd : on estime qu’au total près de 175.000 personnes sont mortes par cause directe de la guerre, sans prendre en compte les effets sur l’économie ou bien les représailles des talibans sur les collaborateurs qui sont tombés à leur main.
Une question se pose désormais : quel futur attend l’Afghanistan ? Malgré les promesses de la part des talibans de mettre des modérés dans quelques positions au gouvernement, d’un point de vue social, il est clair que le retour de la charia comme système juridique, couplé aux moeurs islamiques ultra-orthodoxes des talibans annonce une régression pour une grande partie de la population, notamment les femmes et les minorités religieuses.
Économiquement, le pays va devoir faire face à une période de reconstruction mais cette fois sans l’aide des pays voisins, comme le Tadjikistan ou bien l’Ouzbékistan, clairement hostiles aux talibans. La Chine pourrait être le seul partenaire fiable pour l’Afghanistan. Le fait que l’ambassade chinoise à Kaboul soit restée intacte n’est pas une coïncidence : Pékin à ses yeux rivés sur ces territoires, riches en minerais, à présent libres de toute influence américaine. L’emplacement géographique de l’Afghanistan correspond aussi à de possibles projets chinois liés à la nouvelle route de la soie. Pour l’instant, rien de concret n’a encore été planifié. En effet, la Chine doit d’abord s’assurer que le corridor de Wakhan est empruntable et qu’une nouvelle alliance du nord ne vienne pas perturber ses opérations.
La reconquête des territoires afghans par les talibans a donc fait annuler plusieurs projets qui allaient bénéficier économiquement au pays, comme des oléoducs censés aller du Turkménistan jusqu’en Inde (en passant donc par l’Afghanistan) ou bien l’initiative Indienne qui était de contrer le Pakistan en créant un nouvel axe Afghanistan – Iran – Inde. Une Chine encore réticente est donc probablement le seul espoir pour Kaboul de retrouver une partie du potentiel économique perdu.

Quid des États-Unis ? Pour beaucoup, le 15 août 2021 marque définitivement la fin officielle du monde unipolaire post-soviétique, laissant place aux nouveaux enjeux du monde multipolaire, une réalité géopolitique que beaucoup d’américains refusaient d’accepter avant la chute de Kaboul. Alors que le centre économique du monde bouge chaque année de plus en plus vers l’Asie de l’Est, le plus grand gagnant de cette affaire est encore une fois la Chine. Washington a prouvé qu’elle ne pouvait plus défendre ses alliés en Afghanistan, et s’il en était de même pour Taïwan ?
L’administration Biden tourne à présent son attention vers le Pacifique et laisse de côté les deux décennies de guerre contre le terrorisme dans le Moyen-Orient. La crise des sous-marins provoquée par les États-Unis avec un allié atlantique (la France) afin de se rapprocher d’un allié pacifique (l’Australie) démontre bien ce changement de direction.