Rencontre avec M. Olivier Gauvin, Consul général de France à Istanbul

Crescendo a rencontré M. Olivier Gauvin le 23 février 2023 dans son bureau du Consulat général, à Taksim. Un échange passionnant sur le parcours et le rôle du Consul général de France à Istanbul ainsi que sur la présence française dans la circonscription consulaire.

1- Vous occupez le poste de Consul général au Consulat général de France à Istanbul depuis septembre 2020. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Quelles études avez-vous faites ? Quelles ont été vos missions précédentes ? 

Mon parcours de diplomate m’a conduit à Paris, à Téhéran ou encore aux Etats-Unis, comme diplomate d’échange pour le ministère américain puis conseiller politique à l’ambassade de France à Washington. 

Je suis ensuite revenu à Paris où j’ai occupé le poste de sous-directeur chargé de la presse au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et porte-parole adjoint. Je m’occupais des relations presse avec les journalistes et de la communication du ministère, avant de rejoindre Istanbul en septembre 2020. 

Auparavant, j’ai étudié à l’Ecole Nationale de l’Administration (ENA), à Sciences Po Paris et à l’Université Panthéon Assas, en droit. Encore avant, j’étais professeur de piano, à la fois piano classique et soliste en musique de chambre. Cela montre que les parcours ne sont jamais linéaires et qu’on peut emprunter différents chemins pour arriver à des résultats suivant ses désirs et ses ambitions. 

2- Vous êtes pianiste de formation. Quelle place occupe la musique dans votre vie ? 

Une place importante puisque la musique est pour moi une respiration personnelle, spirituelle, morale, psychologique qui permet d’ouvrir des portes vers d’autres univers de créativité et d’imagination. La pratique musicale est un travail d’artisan, qui connecte la pensée et la réalisation physique. C’est vraiment ce que j’apprécie beaucoup dans la musique, c’est-à-dire qu’on n’est pas dans la pensée abstraite et on n’est pas non plus dans la simple exécution. On est dans quelque chose qui connecte vraiment un concept, une idée, un sentiment et sa réalisation sur le plan matériel. 

Par ailleurs, j’ai la chance d’être en poste à Istanbul, ville où il y a beaucoup d’activités culturelles et musicales. L’Institut français en particulier est très actif et j’ai eu la chance depuis mon arrivée ici de pouvoir soutenir plusieurs concerts, notamment d’artistes français. J’ai aussi eu l’honneur d’être membre du jury d’un concours international de piano organisé par le Lycée Notre-Dame de Sion, en partenariat avec l’Institut français de Turquie.

M. Olivier Gauvin, Consul général de France à Istanbul. Crédit photo : Bilal Imren. DR.

3- Vous avez un rythme de travail assez soutenu. Comment s’organise une semaine type au consulat ?

Il y a des incontournables que sont d’abord les réunions de travail de coordination avec les collègues sans lesquelles le pilotage et l’animation de l’équipe ne serait pas possible. Tous les lundis matin, nous commençons la semaine par une réunion interne avec les équipes du consulat général. Le mardi, il y a une réunion du consulat général avec les autres services de l’Etat à Istanbul, dont le service économique, Business France, l’Institut français, l’Agence française de développement (AFD) etc. Ce sont deux moments forts de la semaine en termes de coordination. 

Ensuite, chaque journée varie selon les rendez-vous et réunions et nous devons toujours garder une place pour l’imprévu, en cas d’urgences ou en fonction de l’actualité. Il est vrai que la fonction de représentation est assez importante dans le poste que j’occupe. Je représente souvent la France à des événements organisés dans la circonscription consulaire d’Istanbul. Ces événements peuvent être commémoratifs, comme cette semaine, avec deux cérémonies : la première concernant le triste anniversaire du commencement de la guerre en Ukraine et une cérémonie rendant hommage aux victimes du drame du Struma. 

D’autres événements ont un caractère culturel ou économique et commercial. Nous recevons par exemple régulièrement des délégations d’entreprises françaises, en collaboration avec Business France. D’autres événements, bien sûr, concernent la communauté française, les associations francophones ou les élus des Français. Il y a quatre conseillers des Français de l’étranger (CFE), qui représentent les Français en Turquie et que nous rencontrons régulièrement avec les collègues. Cela fait beaucoup d’activités. 

J’essaye par ailleurs, étant responsable de toute la circonscription ouest de la Turquie, de me déplacer le plus souvent possible au-delà d’Istanbul dans cette circonscription, à Izmir, à Bursa, à Edirne, à Bodrum et ailleurs. 

Sur la façon de travailler, il est très important de souligner que toute l’action du Consulat général est évidemment collective. Nous sommes environ 60 agents au Consulat général à permettre d’assurer un service public pour les Français et le traitement des demandes de visas pour les citoyens turcs. Enfin, nous travaillons évidemment en relation étroite et constante avec l’ambassade de France à Ankara, sous la coordination et le pilotage de l’Ambassadeur de France, M. Hervé Magro. 

4- Pourriez-vous parler des moments les plus mémorables de votre mission à Istanbul ?

C’est une question très difficile. Chaque journée et chaque semaine sont passionnantes. Cela dépend de ce que l’on entend par “mémorable”. Le plus marquant restera, je pense, le tremblement de terre, début février, de par son ampleur et le bilan humain catastrophique. 

Il y a des événements, bien sûr, qui ne sont pas catastrophiques que je garderai en mémoire. Des moments d’émotions en particulier sont les moments où je vais à la rencontre des élèves, au Lycée Pierre Loti bien sûr mais aussi dans les autres établissements scolaires du réseau francophone. Certains de nos événements impliquent la jeunesse, comme la commémoration du 11 novembre pendant laquelle des élèves du lycée Pierre Loti lisent des textes. 

L’activité est tellement diverse et riche que c’est très difficile de choisir un moment en particulier. Je dirais tout simplement mon premier jour à ce poste. La prise de fonctions dans un nouveau pays d’affectation est toujours un moment très émouvant et très marquant. La mienne avait justement été consacrée à la rentrée des classes, en septembre 2020. 

5- Comment se manifeste la présence française dans la circonscription consulaire d’Istanbul ? La communauté française est-elle la même à Istanbul, Izmir, Denizli ou Bodrum ? 

Dans la circonscription consulaire d’Istanbul qui couvre la partie ouest de la Turquie, nous comptons à peu près 8.000 Français inscrits au registre, dont environ 5.000 vivent à Istanbul, un peu plus de 1.000 à Izmir et autour d’Izmir et le reste est réparti dans la circonscription. Une des caractéristiques est d’avoir une population qui est plutôt jeune et qui est composée à peu près de 75 % de doubles-nationaux, c’est-à-dire de citoyens français et turcs. Selon moi, c’est une richesse, car ils sont eux-mêmes des ambassadeurs de la relation entre nos deux pays et de véritables traits d’union entre les deux cultures. 

On essaye constamment de s’adapter aux besoins des Français. Par exemple, nous organisons régulièrement des tournées consulaires à Izmir notamment, afin de faciliter les démarches administratives pour les Français qui habitent hors d’Istanbul.  

Consulat général de France à Istanbul. DR.

6- Outre le Lycée Français Pierre Loti, il y a de nombreux établissements francophones à Istanbul et Izmir. Pouvez-vous parler du rayonnement de la France et de la francophonie ?  

Comme vous l’aurez compris, la dimension scolaire et éducative est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. J’essaye d’appuyer à la fois l’Institut français, le Lycée français Pierre Loti et les autres établissements scolaires francophones dont les Lycées  Saint Joseph, Sainte Pulchérie, Saint Benoît, Saint Michel, Notre-Dame de Sion et sans oublier le Lycée Küçük Prens, plus récemment créé. La francophonie, c’est essentiel. On dit souvent que l’anglais a pris le pas, que le combat pour la langue française est dépassé. Je ne le pense pas pour une simple raison, c’est qu’encore aujourd’hui il y a plus de demandes d’inscription dans les écoles francophones qu’il n’y a de places. 

Deuxième chose, je pense qu’il ne faut pas opposer l’apprentissage de l’anglais et l’apprentissage du français. Au contraire. L’anglais est évidemment aujourd’hui nécessaire pour toute personne qui se projette à l’international, mais le français est aussi d’une très grande valeur ajoutée pour quelqu’un qui cherche à avoir une compétence professionnelle supplémentaire. C’est aussi une porte ouverte vers une culture, une littérature, un cinéma, une musique, extrêmement riches. C’est sur ce point que je veux insister. La langue française est une langue de culture et d’opportunités professionnelles. Il y a 450 entreprises françaises qui opèrent en Turquie. Bien sûr, la connaissance du français est un atout pour rejoindre ces entreprises. 

C’est pour cela d’ailleurs que je suis toujours ému de rencontrer des jeunes qui apprennent le français. Environ 13.000 élèves sont scolarisés dans des établissements francophones en Turquie. Je pense bien sûr aux lycées Charles de Gaulle et Pierre Loti qui sont des lycées français à part entière, mais aussi aux écoles labellisées. Enfin, il existe des Alliances françaises en Turquie, qui portent la francophonie. 

7- Comment qualifieriez-vous les relations franco-turques actuelles ? 

Elles sont extrêmement denses, extrêmement diversifiées, elles sont extrêmement fortes. Le soutien de la France à la Turquie au lendemain des séismes l’a encore récemment illustré. Plusieurs équipes de secouristes français ont été envoyées et la France a déployé un hôpital de campagne dans la zone sinistrée. Certaines ONGs françaises, dont Pompiers de l’Urgence Internationale, sont aussi venues volontairement. De nombreux dons ont également été envoyés à la Turquie et à la Syrie. 

Pour répondre plus largement à votre question, la relation entre nos deux pays est très dense et a presque 500 ans. Sur le plan économique et commercial, les échanges commerciaux annuels entre les deux pays représentent environ 17 milliards d’euros. Il y a, comme je vous le disais tout à l’heure, 450 entreprises françaises implantées en Turquie, soit 125.000 emplois directs. 

La relation est aussi riche en matière culturelle. Il y a eu de nombreux écrivains, architectes, ingénieurs, experts etc. français qui sont venus dans l’Empire Ottoman puis dans la Turquie moderne au cours des siècles. On a tous en tête le passage à la langue française du lycée Galatasaray décidé par le Sultan Abdül Aziz. C’est un élément assez fort, un bel exemple. L’écrivain Pierre Loti, que nous célébrons cette année, incarne aussi la relation entre nos deux pays. Encore aujourd’hui, nombreux sont les écrivains français traduits en turc et vice-versa. Je pense à Kenizé Mourad, je pense à Nedim Gürsel, et il y en a évidemment bien d’autres. Donc, les liens culturels entre les deux pays sont très forts. Je pense aussi à un architecte comme Alexandre Vallaury qui a contribué à la création de l’Institut des Beaux-Arts turcs Mimar Sinan. 

Pour résumer, les liens culturels, économiques et commerciaux sont très étroits, et les liens humains le sont aussi. C’est une relation qui est profondément ancrée par sa dimension historique. Il n’y a pas beaucoup de pays avec lesquels la France a une relation officielle diplomatique bilatérale de 500 ans en dehors de ses voisins européens. 

8- Les épreuves du baccalauréat approchent. Avez-vous des conseils particuliers à donner aux bacheliers du Lycée Français Pierre Loti ? Est-ce que vous avez une anecdote particulière concernant le baccalauréat ? 

Je dirais trois mots : révision, confiance, contrôle du temps. C’est vrai pour le baccalauréat et pour d’autres examens. Evidemment, ces trois notions se regroupent : si vous avez suffisamment révisé, vous avez raison d’avoir confiance et avez la matière suffisante pour contrôler votre temps lors de l’épreuve. Au lycée, je considérais le baccalauréat comme une porte ouverte vers l’avenir, j’étais assez motivé à l’idée de le passer. D’ailleurs, je félicite collectivement les lycéens de Pierre Loti qui, chaque année, ont des taux de réussite qui sont très élevés grâce à leur travail et à celui de toutes les équipes pédagogiques. 

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