NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.6, Janvier 2022 "Le réseau AEFE : le monde des possibles")
L’expression trainspotting, très utilisée en Grande-Bretagne, désigne une activité qui consiste à observer les trains, en notant leurs caractéristiques distinctives. C’est un passe-temps complètement inutile et dénué de sens, qui est exercé quand on ne sait plus quoi faire de ses journées, de son temps. Nous pouvons aussi dire qu’elle définit toute obsession pour des choses plus ou moins futiles.
Le film britannique Trainspotting de 1996 est l’histoire de 4 jeunes écossais, déconnectés de la précipitation de la vie, de la routine, de la société. Ils se retirent de la vie quotidienne composée de rituels et d’horaires, pour se projeter dans un monde où la notion du temps est perdue. Nous sortons enfin des histoires et des vies parfaites des businessmen, des politiciens… Ce scénario écrit par Irvine Boyle en 1996 vient soudainement donner une gifle aux politiques exploitatrices du monde. La représentation réaliste de la vie des enfants de la classe ouvrière, ne sert pas seulement à informer le peuple de la vraie situation, mais à se moquer, avec une touche d’humour noir, de la vie parfaite que chacun désire. « Choisir la vie, choisir un boulot, choisir une carrière, choisir une famille. Choisir de bricoler le dimanche matin en s’interrogeant sur le sens de la vie, choisir de s’affaler sur ce putain de canapé et se lobotomiser aux jeux télé en se bourrant de MacDo. Choisir son avenir, choisir la vie. J’ai choisi de pas choisir la vie, j’ai choisi autre chose. Les raisons ? Y a pas de raisons. On n’a pas besoin de raisons quand on a l’héroïne. »
Les scènes alternent constamment entre le réel et l’irréel, avec les illusions de la vie vues par le personnage qui est aussi le narrateur du film. La vie nous apparaît comme un énorme trip. Nous sommes toujours en mouvement avec les techniques cinématographiques utilisées. Nous ressentons en nous ces hallucinations variées, dans un état latent et psychédélique. Le choix excellent des musiques nous fait aussi ressentir plus profondément le moment, avec des musiques de Lou Reed, Iggy Pop, et des groupes comme Pulp, Blur, Underworld et New Order. De plus, Danny Boyle, le directeur du film a indiqué qu’il s’est inspiré des peintures de Francis Bacon. Nous pouvons en effet bien voir les similarités entre ces peintures et les scènes du film.

« L’héroïne est si présente dans le film qu’on pourrait la sentir en nous. Une certaine façon d’exorciser la drogue, guérir le mal par le mal en nous mettant face à elle, aussi longtemps et aussi intensément que possible. » Mais, le film Trainspotting va au-delà du simple thème de la drogue. Il représente toute une génération obligée de vivre dans une société qui ne leur correspond pas. Les personnages sont les « rebuts de l’humanité » selon Mark Renton, le protagoniste. L’une des raisons de la toxicomanie de ces 4 amis est le manque d’espoir pour l’avenir, liée au ralentissement économique. Mais, ironiquement, l’addiction aux drogues finit par leur coûter très cher et les rend de plus en plus pauvres. L’utilisation de la drogue ne nous fait pas seulement reconnaître le désir et l’addiction, elle nous montre le désespoir des jeunes envers un monde qui ne leur correspond en aucun point. Le monde n’a rien à leur offrir et en conséquence ils n’ont rien à offrir au monde.
Nous verrons pourtant que l’argent finira par dépasser l’amitié. Ces jeunes, essayant de s’échapper du système, se retrouvent au centre de ce dernier et deviennent même acteurs principaux dans le monde. C’est avec l’argent que Renton décide de quitter la drogue. « La vérité, c’est que je suis un sale type. Mais ça va changer, je vais changer. Tout ça est bien fini, désormais je suis clean, j’avance dans le droit chemin. Je choisis la vie, j’en jubile à l’avance. Je vais devenir comme vous. Le boulot, la famille, la super téloche, la machine à laver, la bagnole, la platine laser et l’ouvre-boîtes électrique. La santé, le cholestérol, une bonne mutuelle, les traites, la baraque, le survêt, les valises, les costards trois-pièces, le bricolage, les jeux télé, le Mac Do, les mômes, les balades en forêt, le golf, laver la voiture, tout un choix de pulls, les Noëls en famille, les plans d’épargne, les abattements fiscaux, déboucher l’évier, s’en sortir, voir venir… le jour de sa mort. »

Ce film est doté d’un regard sévère, sans ornements, sans fleurs, sans chercher à embellir la situation. Il fait questionner, surtout aux jeunes, l’avenir. L’économie qui exploite chaque petite partie de la terre, ne laisse aucun espoir pour le futur qui nous attend. Nous comprenons alors peut-être que le seul élément qui peut nous conduire et nous motiver est la passion.
