Une entreprise turque de fabrication de jeans éthiques

NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no. 5, novembre 2021 "20 ans, rien comme avant")

Aujourd’hui la mode est devenue un acteur très important de l’économie mondiale. Malheureusement, d’après des chiffres de  l’ONU, le secteur de la mode est responsable de 20 % des eaux usées mondiales et de 10 % des émissions mondiales de carbone, notamment à cause de ses longues chaînes d’approvisionnement et de son mode de production qui nécessite beaucoup d’énergie. Mais y a-t-il un moyen de continuer à faire de nouveaux vêtements tout en étant respectueux de l’environnement ? L’exemple de Romain Narcy et de son équipe en est un exemple. Ils ont créé leur propre usine de jeans éco-responsable, Blue Matters et ont choisi de la baser à Istanbul, notamment car la Turquie est le plus gros producteur mondial de jeans. 

Qui est Romain Narcy ? 

Français, il  est arrivé en Turquie en 1997, dans le cadre de son travail pour Sodexo (entreprise multinationale française spécialisée dans la sous-traitance de services). Il s’est ensuite marié en Turquie. C’est grâce à son beau-père qu’il a intégré le monde du textile. Il a commencé à travailler dans la société familiale, une usine de pantalons en toile et de jeans. C’est un produit qui lui a tout de suite beaucoup plu, mais il voulait aller plus loin. Son objectif était de produire des jeans qui répondaient aux besoins des clients, tout en étant fabriqués de manière éco responsable, c’est-à-dire avec un faible impact environnemental. Il a donc décidé d’investir dans un terrain dans la région de Thrace en 2018 pour y construire une nouvelle usine. Aujourd’hui, il possède deux usines, une à Corlu qui compte 180 travailleurs et une à Istanbul de 300 employés. Ils produisent environ 80 000 jeans par mois, 30 % sont vendus localement alors que 70 % sont expédiés pour être vendus en Europe. 

Qu’est ce que Blue Matters ?

Blue Matters Responsible Production Platform est l’entreprise créée par Romain Narcy en 2019. C’est après avoir visionné une vidéo produite par River blue qu’il a décidé de produire des jeans de manière plus éthique et durable (Cf. Vidéo River Blue : https://youtu.be/747kbvLHM0Y). Avec son équipe, il a décidé d’éviter l’usage de produits chimiques dangereux pour la santé des consommateurs, mais de veiller également à ce que les produits soient plus facilement recyclables en fin de vie.  

Romain Narcy et Kaan Şen, responsable du développement commercial et de la diffusion de cette entreprise, font en sorte de bien choisir les marques avec lesquelles ils travaillent. Ils produisent, par exemple, pour Superdry, Lee Wrangler ou des marques danoises telles que MosMosh, Selected Femme, des marques françaises comme La Fée Maraboutée, mais aussi pour Colin’s et Network, etc. Toutefois, ils ne veulent pas produire pour H&M et Inditex car ils jugent que ces marques produisent trop et de manière non responsable, sur le modèle de la fast fashion, c’est-à-dire le renouvellement ultra rapide des collections et d’une très grande production de vêtements basée sur le concept « plus on vend, mieux c’est ». 

Quel est le processus de production dans cette entreprise ? 

La production commence avec un procédé à sec par application de lasers : ils disposent pour cela de 3 lasers. Ensuite vient le désencollage qui consiste à enlever les impuretés. Ultérieurement vient l’étape d’un lavage enzymatique et de la pierre ponce qui sert à créer tous les différents effets que nous pouvons observer sur les jeans. Pour cela l’entreprise dispose de 8 machines de délavage industriel et 5 séchoirs industriels. Vient ensuite le blanchiment qui est fait à l’ozone, ou grâce à des lasers. Les jeans passent par la suite dans des machines pour enlever la couleur jaune indésirable qui est laissée par les produits chimiques. Et enfin, les pantalons sont examinés, afin d’être sûr qu’il n’y ait aucun défaut. Les boutons et les étiquettes sont ajoutés dans la dernière étape de production. Les jeans sont ainsi prêts à être distribués et vendus en magasins. 

Quels sont les impacts écologiques et les enjeux auxquels l’entreprise doit faire face ?

En moyenne, environ 150 milliards de vêtements sont produits chaque année, ce qui cause de gros dommages écologiques dus à la surproduction : on estime en effet que 10 à 30 % de ces vêtements, soit environ 45 milliards d’habits, sont brûlés ou enfouis en décharge avant même d’être vendus. En 2050, on devrait passer à 250 milliards de vêtements produits, ce qui représenterait 10 % de l’émission mondiale de CO2, sachant qu’il faut environ 3 arbres pour compenser le rejet en CO2 d’un seul jean, la planète devrait être entièrement recouverte d’arbres. 

Par ailleurs, un des plus gros problèmes de cette fabrication est la consommation d’eau. Pour produire un seul jean, on utilise environ 7000 litres d’eau. 40 à 50 % de cette quantité sert à la culture du coton, ensuite c’est le consommateur qui va utiliser la majeure partie du reste pour laver son jean. Une part de 120 litres est consacrée à  la manufacture. Un autre problème majeur est la trop grande consommation d’énergie pour la production et l’exportation du jean.

La différence de prix entre les modèles de jeans, ici, s’explique par le choix du coton. Pour les entreprises, partir de fibres recyclées est plus cher car les fibres sont moins résistantes car, une fois recyclées et donc déjà utilisées, elles sont plus courtes : il en faut donc plus et leur recyclage ajoute un coût supplémentaire.

Quelles sont les solutions trouvées par cette entreprise ? 

Pour pallier à tous ces problèmes, l’entreprise Blue Matters a décidé d’appliquer un concept appelé ‘Beyond Blue’ qui dicte le comportement éco-responsable que doit suivre l’entreprise aussi bien dans la production des jeans que dans la construction et le fonctionnement de l’usine. Ils suivent donc certaines règles pour réduire la consommation d’eau et l’empreinte carbone. Pour cela l’usine a été construite en se basant sur la certification LEED, qui impose la collecte de l’eau de pluie pour les toilettes et des éclairages LED qui consomment beaucoup moins que des éclairages traditionnels. La construction de l’usine a également été réalisée avec des matériaux recyclés : pour ces raisons, l’usine est dite durable. 

Romain Narcy et ses collaborateurs essaient également de passer d’un modèle linéaire à un modèle circulaire. Le modèle circulaire est un projet de recyclage des vêtements en fin de vie, car aujourd’hui il n’y a que 15 % des vêtements qui sont recyclés et seulement 1 % sont recyclés pour en faire d’autres vêtements. Actuellement, l’entreprise est en dessous des 15 % de recyclage, mais au-dessus des 1 % recyclés en vêtements, et ils comptent travailler pour augmenter ces chiffres. L’équipe prévoit que les consommateurs envoient leurs vêtements en fin de vie à des associations ou à des centres de recyclage qui vont pré-découper les parties réutilisables des vêtements et ensuite les leur renvoyer. C’est un projet déjà entamé, puisque beaucoup des jeans Blue Matters sont fabriqués à partir d’un mélange de fibres vierges et recyclées. 

Leurs autres démarches pour contribuer à protéger l’environnement consistent à diviser par deux la consommation d’eau nécessaire à la fabrique d’un jean (60 litres au lieu de 120). Ils ont déjà réussi à réduire de 60 % leur consommation d’eau entre 2019 et 2020. Ils ont aussi une machine qui transforme l’oxygène en ozone (O3), un gaz leur permettant de créer des effets de couleurs sur les jeans sans utiliser de produits chimiques. Ils ont également choisi d’utiliser un mélange de pierre ponce et d’éco stone pour délaver les jeans, car la pierre ponce est une pierre qui diminue considérablement de volume lors de son utilisation : il en faut donc une très grande quantité. Alors que l’éco stone, pierre orange en plastique, peut être utilisée pour environ 6000 lavages donc 3000 fois plus qu’une pierre ponce. Et enfin, ils choisissent de travailler avec des marques qui ont les mêmes préoccupations et valeurs qu’eux. 

Où acheter ces jeans si l’on veut acheter de manière responsable ? 

Certaines marques sont déjà assez avancées dans la production responsable :

Et nous qu’est-ce qu’on peut faire à notre échelle ? Il faut veiller à changer nos habitudes de consommateurs : par exemple, acheter moins de vêtements et les acheter de préférence de seconde main ou bien faire attention à ce qu’il s’agisse de marques avec les certificats de la Ellen Macarthur Foundation ou du Amsterdam Denim Jeans. Il faudrait aussi éviter de trop laver ses jeans et ne plus acheter des jeans délavés ou déchirés. On conseille enfin de privilégier les jeans de couleur naturelle et unie.

Clémence Cadot
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