S’affranchir des stéréotypes sexistes : La naissance de la mode non-genrée

NDLR : Article d'archive remis en ligne (cf. Crescendo no.1, Oct.2020 "Liberté, quand tu nous tiens")

Quand on parle de mode, la plupart du temps on parle de mode féminine. A partir de la fin du XXème siècle, les femmes ont eu une plus grande possibilité de choix vestimentaires. Elles peuvent désormais mettre des pantalons, des chemises, des smokings et même des cravates tandis qu’il est très rare de voir un homme en robe ou en jupe… Mais cet état des choses commence à changer.

Loewe SS202 – Thom Browne SS2020

La raison de ce changement c’est la destruction soudaine des codes du genre. Même si toute la société n’est pas encore prête à oublier la différence entre le masculin et féminin, la génération Z est prête à libérer le corps et laisser l’imagination guider les choix de vêtements. Les jeunes générations qui veulent s’affranchir de toutes les limites, qui demandent une égalité totale dans tous les domaines, commencent aussi à abolir les frontières entre les vêtements féminins et masculins. Cette libéralisation donne lieu à la féminisation de la mode ; car la mode féminine est plus libre, plus colorée, plus créative, pleine de dentelles, de bijoux, etc. Tandis que la mode masculine est très limitée, tant dans ses modèles que dans ses couleurs.

Une certaine liberté de s’exprimer

Ann Demeulemeester SS2020

Donc, certains hommes, et surtout les jeunes, commencent à utiliser des habits et des accessoires féminins pour s’exprimer li- brement. Des chemises à motifs, des acces- soires et des couleurs vives auparavant ré- servées aux femmes leur donnent un « look différent » et créatif. Même le maquillage n’est plus seulement réservé aux femmes mais aussi à des hommes dans la vie de tous les jours. Ce changement pousse aussi les marques, et surtout les marques de Haute-Couture à créer des vêtements plus féminins pour les hommes. On voit aussi des créations unisexes. Certains hommes ne veulent donc pas se forcer à choisir entre des pantalons ou des couleurs uniquement sombres, mais ils désirent se sentir libres de porter des jupes, des chemises féminines, multicolores… Auparavant, dans les années 1920, Coco Cha- nel a donné aux femmes une grande liberté en jetant les corsets à la poubelle et en intro- duisant des vêtements qui permettent une plus grande liberté de mouvement. De la même manière, un siècle plus tard, la féminisation des vêtements permet aussi aux hommes une autre forme de liberté : la liberté de s’exprimer par sa tenue et d’être satisfait de soi-même.

Le pantalon était un symbole de masculinité depuis des années, mais on voit que dès les années 1965, les femmes commencent à acheter plus de pantalons que de jupes, car elles se sentaient plus libres avec les pantalons, mais aussi plus fortes, puissantes et dynamiques. On peut dire que les femmes ont obtenu de porter presque tous les vêtements masculins. Elles peuvent de nos jours facilement vivre avec une garde- robe de vêtements traditionnellement portés par les hommes.


Mais la réciproque n’est pas vraie. Aujourd’hui dans la rue on ne voit pas d’hommes porter des talons aiguilles ou des jupes. Et pourtant ça change. Et ça change rapidement. Si les femmes portent des pantalons, pourquoi les hommes ne porteraient-t-il pas de jupes ? Ils le peuvent. Et certains le veulent aussi. Car, avec le développement des réseaux sociaux, l’apparence physique devient de plus en plus importante dans la vie quotidienne. Elle est considérée comme le reflet de son expérience du monde.

Défilés homme avec des kilts, col en fourrure et maxi bagues

Palomo Spain AW2020

Les récents défilés de haute couture pour les hommes montrent que certains d’entre eux commencent à se servir dans la garde-robe des femmes. Plus que jamais, les genres s’entremêlent, en offrant à l’individu la possibilité de vivre sa propre mode au-delà des idées reçues.

Par exemple, le grand couturier Jean Paul Gaultier a imposé le port de la jupe par les hommes dans ses défilés depuis long- temps, même si ceci n’a pas ensuite favori- sé le port de jupes dans la rue. Depuis qu’un autre grand couturier, le célèbre Marc Jacobs, a commencé à mettre son “kilt” tout le temps et que la star britan- nique de Formule 1, Lewis Hamilton, est apparue le portant en couverture du maga- zine britannique GQ, on peut toutefois es- pérer que la mode masculine changea de visage dans un futur proche.

La féminisation d’hommes ne se limite pas au port des jupes, bien sûr. Lors des derniers défilés, on a constaté que plusieurs stylistes avaient décoré et enrichi leurs collections homme de touches féminines. D’ailleurs, le secteur de la haute couture ne sépare plus la Fashion Week homme et femme. La plu- part des défilés sont des défilés mixtes, car aujourd’hui de plus en plus de marques – jeunes créateurs comme grandes maisons de mode ou griffes de fast fashion- ont compris la nécessité de mettre fin aux sté- réotypes et de donner à l’homme la possi- bilité d’utiliser la garde-robe féminine sans appréhension et sans peur du jugement. Les exemples se multiplient : chez Given- chy, on voit l’utilisation de capes et guêtres lacés, ni tout à fait masculins ni tout à fait féminins, mais universellement élégants. Chez Gucci, des pull-overs léopard grisés ; chez Jil Sander, le pardessus ultra cintré ; chez Céline, des hommes portent des cols en fourrure, des maxi bagues, des vestes ceinturées ; et pour le défilé été 2021 Cé- line, on prépare des bijoux pour hommes sortis des années 1990 comme des chaî- nettes, des rivières d’étoiles qui pendent dans le cou. Pour la première fois chez Prada, les mannequins homme ont pratiqué le catwalk avec des shorts sous forme de mini- jupes et des sacs à main ; chez Fendi, ils ont mis des jupes au-dessus du genou ; chez Dior, les hommes portent des chemises transparentes en dentelle ou à broderies ; chez Maison Margiela, les garçons portent des robes du soir ; chez Cottweiler, des jeunes hommes ont porté des crop tops ; et quant à Chanel, la maison française a annoncé la sortie de Boy, sa première ligne de maquillage pour homme composée d’un baume à lèvres hydratant sans effet brillant, un fond de teint longue tenue et un stylo à sourcils résistant à l’eau. Tous ces exemples montrent que la mode est prête à cette nouvelle ère où l’homme va librement montrer son style.

Prada SS2019

La pop culture, le style de rue


Hormis la haute couture, la pop culture et le style de rue sont les plus importants développements qui ont permis à la mode masculine de prendre un nouveau tournant. Et dans ce domaine, ce sont surtout les hommes célèbres qui n’ont pas peur de féminiser leur look qui ont la plus grande influence, ce qui n’est pas nouveau. Dans le passé, des stars comme David Bowie étaient considérées marginales par leurs contemporains, mais aujourd’hui le genre n’a pas d’importance en mode. Les chanteurs sont libres de choisir leurs vêtements sur scène. La seule chose qui importe, c’est de trouver son style. Selon une enquête Yougov réalisée pour le quoti- dien 20 Minutes en février 2018, 19 % des Français de 18 à 30 ans s’identifient comme no-gender (sans genre) ou gender-fluid, c’est -a-dire « qu’ils peuvent s’habiller un jour en homme, le suivant en femme ».

Raffinement et ornementation dans le passé

YCH et Gucci pour Vogue Korea

A vrai dire, l’intérêt des hommes pour la mode n’est pas nouveau. Quand on se penche sur l’histoire de la mode, on constate que les deux sexes étaient autant intéressés par le raffinement et par l’ornementation. On peut même dire que les vêtements masculins étaient aussi brillants que ceux des femmes et qu’il n’y avait pas une grande différence entre les deux. De ce point de vue, les historiens de la mode nous expliquent que le XIVème siècle marque un tournant important dans l’histoire du vêtement et qu’à partir de cette date les habits masculins et féminins prennent des directions différentes. Cette division des vêtements entre hommes et femmes devient une norme presque dans le monde entier jusqu’au XXème siècle. Selon cette norme, les hommes portent des panta- lons. On l’appelle “le système fermé”. Et les femmes portent des robes qu’on désigne par “le système ouvert.”

Il faut aussi dire que par le passé, les distinctions des vêtements n’étaient pas faites seulement entre hommes et femmes, mais aussi entre les classes sociales. Aujourd’hui ceci ne semble plus exister et tout le monde peut s’habiller comme il le veut, bien entendu dès lors qu’il dispose des ressources économiques pour ache- ter les vêtements qu’il désire.

Les inégalités entre hommes et femmes doivent être abolies

Et maintenant, la féminisation des vêtements des hommes est un autre pas important pour la liberté d’expression. Ce point de vue gagne de l’importance dans tous les domaines de la vie sociale et professionnelle. Les inégalités entre hommes et femmes doivent être abolies pour un monde meil- leur.

Donc, la féminisation des habits homme, comme la masculinisation des habits femme auparavant, ont le même but : une mode qui se définit « gender free » (libérée des questions de genre) ; une mode où on ne parle pas d’une pièce de vêtement pensée pour une fille ou un garçon, mais d’un vêtement tout simple- ment ; un vêtement qui va nous permettre d’être plus libre, heureux et authentique sans être limi- té par les idées reçues de la société. Pour que nous vivions dans un monde où femme et homme deviennent égaux et interchangeables devant la mode !

Le chanteur Harry Styles – Harris Reed SS2020
Ada Ünlü
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